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ouvrière. L’esclavage antique, le servage féodal, le travail corporatif, le trade unionisme contemporain en constituent les étapes ; et si une partie du XIXe siècle a été l’une des crises dont nous parlons, nous sentons bien au XXe siècle que la crise est passée et que l’émancipation ne s’arrêtera pas.

Et l’un des phénomènes les plus suggestifs de cette émancipation, c’est que son succès est surtout assuré là où les capitaux abondent et où la puissance de l’outillage ne connaît pas de limites. N’est-ce pas aux Etats-Unis, en Australasie, en Angleterre que l’ouvrier est le plus heureux, qu’il a les plus courtes journées de travail et les plus hauts salaires, les meilleures conditions de vie intellectuelle, matérielle et morale ? Comment soutenir que le régime moderne n’élève que les patrons et déprime les ouvriers, puisque déjà au début de ce régime, et alors que la situation était détestable, le mécanicien Watt invente la machine à vapeur, le barbier Arkwright le métier continu, l’orfèvre Fulton le bateau à vapeur, le houilleur Stephenson la locomotive, et que, plus récemment, le menuisier Gramme vulgarise l’emploi des dynamos ?

Mais laissant de côté des cas exceptionnels, comment soutenir qu’en ce moment le capitalisme enlève à l’ouvrier son indépendance, et comment invoquer pour le prouver l’exemple de patrons renvoyant des ouvriers syndiqués, alors que partout le prolétariat est organisé au point de vue social en parti de classe, au point de vue politique en parti parlementaire, au point de vue économique en associations professionnelles ; alors que ses coopératives, aussi importantes que les plus importantes sociétés capitalistes, sont administrées par des ouvriers d’élite, et qu’il compte des députés, des orateurs, des écrivains dont la situation ne le cède en rien à celle des bourgeois ? Comment soutenir que le machinisme a brisé la force de résistance des travailleurs et que la répétition ininterrompue d’actes identiques effectués par le même ouvrier anéantit son individualité, puisque les aspirations ouvrières sans issue possible au début du XIXe siècle et uniquement manifestées par des sentimens de haine et de révolte, sont précisément couronnées de succès depuis l’expansion du machinisme capitaliste et se traduisent par l’élaboration continue d’une législation ouvrière protectrice ?

La reconnaissance du droit de grève, le contrat de travail,