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représente 3 milliards et demi de francs, et où un producteur belge fabrique de la valeur d’échange pour le Congo, la Perse ou la Chine, tandis que du fond des États-Unis, un fabricant ou un cultivateur envoie des produits au consommateur du Brabant.

En même temps, la production prend la forme capitaliste et nous vivons désormais, et surtout depuis le XVIe siècle, sous le régime de l’entreprise capitaliste.

Or, les marxistes, qui reconnaissent que cette transformation a été graduelle et nécessaire, commettent une singulière erreur de dialectique : en présence des incontestables abus inhérens à notre état économique (comme d’ailleurs à tout état économique pris à un moment donné), ils conçoivent une théorie métaphysique du capital ; ils voient dans le capital une chose en soi, le condamnent comme la source des maux présens, lui attribuent une force destructive, et raisonnent comme si, en apercevant les vices d’une civilisation, nous en faisions remonter la responsabilité à l’État, en oubliant qu’un État est la conséquence et non la cause d’une évolution sociale.

Ce n’est pas le capital qui a créé le mode actuel de production économique pour se jeter comme un vampire sur le travail. Le capitalisme est l’aboutissement d’un lent processus historique qui a conduit du métier familial à l’usine. Le capital n’était rien dans l’industrie familiale ; il était peu de chose dans l’industrie de métier ; il s’est développé dans l’industrie urbaine et dans l’industrie nationale, pour prendre dans l’industrie internationale un prodigieux essor. Mais cette marche en avant était fatale, et le marxisme ne le nie pas.

Il y a eu un mode de production sans capital, quand il n’y avait ni échange, ni circulation, ni marché, quand le producteur isolé avec des outils rudimentaires qu’il façonne lui-même produit des biens qu’il emploie lui-même sur place. Or, dès que le producteur et le consommateur n’ont plus été confondus dans la même personne, que l’un s’est détaché et éloigné de l’autre et a produit, outre ce qu’il lui fallait pour lui, un excédent dont avait besoin un consommateur étranger, il y a eu des frais de production et de circulation ; la valeur d’échange a dû se différencier de l’objet produit, le capital du travail.

Cette différenciation s’est faite parce qu’elle était indispensable à la satisfaction des besoins nouveaux. Non seulement le travailleur isolé ne pouvait plus suffire à l’intensité de ces