Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien croire l’ambassadrice de Suède, affirmant qu’elle n’a chez elle que des Suédois ? On y a consenti ici ; mais on ne m’a pas donné la permission pour l’évêque, et je ne me fixerai nulle part sans lui. Daignez donc me dire si je puis, avec quelque espoir de sécurité, louer ce printemps une maison à la campagne, et y inviter M. de Talleyrand. Dites-moi si Zurich veut caractériser la modération de ses opinions, en donnant un asile à des hommes persécutés pour cette même modération.

« Dites-moi enfin si je vous devrai le bonheur de passer l’été avec vous et vos amis. Si cela était impossible, je vous prierais alors de prendre quelques informations sur Schaffhouse. Cela me conviendrait bien moins ; mais enfin, ce dont j’ai besoin, c’est d’une maison qui me serve d’abri contre les injures de l’air, et de retraite contre les passions des hommes.

« Je n’ajouterai rien à cette lettre ; tant de sentimens se pressent au fond du cœur que, pour commencer, il faut être certain de pouvoir tout dire, et la vie et l’âme, et la parole et la pensée n’y suffisent pas. Croyez seulement que je sais et vous estimer, et vous aimer, et mettre au premier rang le plaisir de passer quelque temps avec vous. »


Les démarches de Meister ne purent obtenir la faveur que sollicitait Mme de Staël ; et, quelques semaines après, celle-ci prenait encore son vieil ami pour confident de ses peines.


« 19 février 1794. — J’ai vu dans la Gazette de Schaffhouse que l’évêque d’Autun avait été renvoyé d’Angleterre. Ce bruit m’a tellement bouleversée que je puis à peine tenir ma plume, à cause du tremblement que j’ai depuis cet instant. S’il venait ici, je serais trop heureuse ; mais il irait en Amérique. »


« 12 mars. — Ah ! l’Angleterre ! ils m’en ont ôté mon aimable, mon excellent ami ! Depuis la Révolution, voilà pour moi le plus grand des malheurs. En partant, il n’est pas un seul intérêt de ses amis dont il ne se soit tendrement occupé. C’est un caractère méconnu ; mais son esprit si orné, si charmant, est moins supérieur encore. Je ne sais rien qui me décidât à ne plus le revoir ; et peut-être d’autres raisons bientôt me forceront à le chercher. Je commence à détester l’Europe, et mon dernier essai pour mes amis sera Zurich. Moi, je traînerai plus longtemps ;