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les lettres qu’elle écrivait à Meister vers ce temps, on la voit revenir à maintes reprises sur un point qui lui tenait à cœur :


Coppet, 1796 (janvier ou février). — Est-ce que vous feriez un ouvrage sur votre séjour à Paris ? Prenez-y garde : ne prenez pas la France du 13 vendémiaire pour la République française, et ne vous fermez pas la porte d’un pays que vous regretterez plus tôt que vous ne croyez. — Lausanne, 5 avril 1796 : Votre récit de votre premier voyage en France sera-t-il conçu de manière à vous rendre le second impossible ? Pensez-y ! Vous devriez me le montrer ; car j’ai beaucoup de délicatesse sur tout ce qui concerne la République :


Un souffle, un rien, tout nous fait peur
Quand il s’agit de ce qu’on aime.


Coppet, 10 octobre 1796. — Vous me demandez si je permets l’impression de votre Voyage à Paris ? Je vous demande de n’y pas mettre votre nom : il ne faut jamais se fermer la porte du paradis.


Cette sollicitude de Mme de Staël, ces recommandations répétées, sont un témoignage de l’amitié qu’elle a eue de tout temps pour Meister. Il avait été l’ami, le confident de M. et de Mme Necker ; il avait vécu dix-huit ans chez Mme de Vermenoux, la marraine de Mlle Necker ; il était pour Mme de Staël un vieil ami de famille, sûr, éprouvé. Quand elle était encore enfant, c’est lui qui rédigeait les vers qu’elle présentait à son père, le jour de sa fête ; quand elle eut vingt ans, et qu’elle s’essayait à écrire, elle communiquait à Meister ses premières ébauches, et il les envoyait à ses correspondans. C’était alors la mode de faire des folles, c’est-à-dire de petites nouvelles, dont l’héroïne était devenue folle par amour. Mme de Staël, au printemps de 1786, avait composé un morceau de ce genre, la Folle de la forêt de Sénart : « Voilà cette folle que vous désirez, monsieur, écrivait-elle à Meister ; je vous prie de me la renvoyer ; c’est ma seule copie. Mais je vous assure que je n’y mets précisément d’autre valeur que de ne la pas jeter au feu »

Les lettres de Mme de Staël à Meister s’étendent sur une durée de trente ans. Toujours intimes et confiantes, elles offrent un