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Paul Moultou, le confident de Rousseau et l’un des correspondans de Voltaire. Meister lui-même rendit visite, lors de ce premier voyage, aux deux philosophes : à Rousseau d’abord, qu’il alla voir dans les montagnes du pays de Neuchâtel. Son jeune enthousiasme reçut un aimable accueil : pendant toute une après-midi, il accompagna Jean-Jacques dans sa promenade sur des sentiers de montagne, causant avec lui à bâtons rompus : « J’entrepris plusieurs fois, écrit-il à son père, de l’engager dans une conversation suivie ; il m’échappait toujours. » Meister se présenta aussi à Ferney, où Voltaire fit causer le jeune ecclésiastique zurichois sur l’histoire de son pays.

A Genève, Meister fit la connaissance de deux jolies personnes, qui ont joué un grand rôle dans sa vie : Mme de Vermenoux et Mlle Suzanne Curchod. Au moment de son arrivée, elles allaient partir pour Paris, en sorte que Meister ne les vit que peu de temps, à son grand déplaisir. Une jeune Rémoise, Julie Bondeli, lui écrivait à ce propos : « Quelque regret que vous ayez d’avoir perdu Mlle Curchod, je n’en ai aucun de vous l’avoir occasionné ; j’ai appris par vous qu’elle était toujours belle, et c’est ce que plusieurs femmes m’ont laissé ignorer. »

Quant à Mme de Vermenoux, une lettre de Meister à son père montre que d’elle aussi il avait gardé quelque souvenir : « Liotard a fait le portrait de Mme de Vermenoux, qui est divinement beau. C’est un présent qu’elle voulut faire à M. Tronchin, qui la guérit d’une maladie dangereuse. Elle y est représentée en Iphigénie, lorsqu’elle remercie Apollon de sa guérison. Avec quelle grâce elle étend ses mains pour remercier le dieu ! »

Après avoir passé l’été à Genève, Meister était revenu chez son père, au presbytère de Kusnach ; bientôt après, il avait accepté une place de précepteur dans une famille de Zurich. A la fin de l’hiver suivant, il reçut une lettre de Moultou, qui lui offrait une position analogue, et beaucoup plus séduisante, chez Mme de Vermenoux, qui avait un fils âgé de huit ans : « Elle vit à Paris, écrivait Moultou, dans une société charmante ; il y a beaucoup de gens de lettres dans sa maison. La place dont je vous parle est celle qu’avait Mlle Curchod. (On sait que celle-ci venait d’épouser M. Necker.) Que savez-vous si, à Paris, la fortune ne vous ouvrira pas une carrière plus brillante ? » — Ce pressentiment était juste, et toutes les perspectives qui s’ouvraient étaient riantes. Néanmoins une année entière se passa en