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dans une dernière lettre à M. le président du Conseil, a déclaré que les ouvriers, comparant « les bénéfices scandaleux réalisés par les compagnies » à leurs « infimes salaires, » avaient « obéi à un sentiment bien explicable » en relevant le prétendu défi du Comité des houillères. C’est déjà une déclaration de guerre. Néanmoins le Comité ouvrier ne veut pas encore désespérer ! Il presse le gouvernement d’user de « sa grande et haute autorité » pour amener le Comité des houillères à ce débat contradictoire qui, évidemment, est condamné à rester stérile. S’il y avait un moyen, sans compromettre les intérêts permanens et, quoi qu’on en dise, solidaires du monde du travail, d’échapper à la crise sans précédens qui se prépare, il faudrait s’empresser d’y recourir. Mais, s’il y en a un, ce n’est certainement pas celui-là.

Deux choses méritent d’être mises en vue : l’une, que les ouvriers sont loin d’être unanimes sur l’utilité de la grève ; l’autre, que ceux mêmes qui en sont partisans lui donnent des objets très divers. Ainsi, dans les bassins du Pas-de-Calais et du Nord, M. Basly a restreint les revendications des ouvriers à la question des salaires. Il y a quelque temps, un accord s’était produit entre patrons et ouvriers pour ajouter aux salaires une prime d’un tant pour cent. La situation de l’industrie houillère était alors florissante, et les compagnies pouvaient supporter ce surcroit de charges. Elles s’étaient engagées à le faire pendant deux ans, terme qui est arrivé à son expiration il y a six mois. À ce moment, une diminution a été opérée dans le salaire, qui a été néanmoins maintenu à un taux supérieur à celui d’avant la convention. Les ouvriers ont protesté, comme il fallait s’y attendre. Et pourtant, si rien n’est plus naturel que d’élever les salaires lorsque les bénéfices de la compagnie augmentent, rien aussi ne l’est plus que de les diminuer lorsque ces bénéfices diminuent. Mais les ouvriers ne l’entendent pas de la sorte : ils regardent toujours les concessions qu’ils ont une fois obtenues comme un minimum au-dessous duquel on ne peut plus descendre sans violer un droit acquis. C’est ce qui vient d’arriver dans la région du Nord : de là le mécontentement qui a amené la grève. Elle prendrait sans doute fin tout de suite si les compagnies minières étaient en mesure de consentir, totalement et sans doute même partiellement, aux concessions qu’on leur demande. L’étroite solidarité entre les ouvriers est une illusion ajoutée à tant d’autres. « Un pour tous, tous pour un ! » avait dit le Comité national. Il ne semble pas que cette belle formule trouve ici son application. Le lendemain même de la proclamation de la grève générale, les délégués des mineurs syndiqués du Pas-de-Calais et du Nord se