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Beaucoup se sont dit qu’ils n’échapperaient pas indéfiniment à la grève, qu’elle éclaterait immanquablement un jour ou l’autre, et qu’il fallait en prendre bravement son parti. A force de parler de la grève générale, on a familiarisé les esprits avec elle. D’autres dangers ont pu, par leur continuité, paraître encore pires, et l’épreuve ne se présente plus aujourd’hui avec le cortège d’épouvantes qu’elle avait encore il y a peu d’années.

Avant de raconter les incidens qui ont précédé et accompagné la proclamation de la grève générale, il y a lieu d’en signaler le caractère essentiel. Elle a commencé dans les divers centres industriels sans que les compagnies houillères aient été saisies d’aucun grief et mises en demeure d’y satisfaire. La grève est un droit pour les ouvriers ; personne ne songe à le contester ; mais encore conviendrait-il qu’avant de l’exercer, ils fissent connaître aux compagnies ce dont ils se plaignent et ce qu’ils demandent. Les compagnies verraient alors ce qu’elles ont à faire. Depuis quelque temps déjà, les ouvriers ont pris l’habitude de procéder autrement. Ils commencent par se mettre en grève, c’est-à-dire par rompre le contrat qui les lie à leurs patrons, et c’est seulement ensuite qu’ils cherchent ce qu’ils pourraient bien réclamer. Ils échappent, par le caractère collectif de leur acte, et aussi par la modicité ordinaire de leurs ressources individuelles, aux responsabilités que la loi a organisées pour faire respecter le contrat de travail : les patrons seuls y restent assujettis. On comprend, d’ailleurs, que les ouvriers en soient logiquement venus là depuis que leurs exigences principales, au lieu de s’adresser à leurs patrons, s’adressent aux pouvoirs publics. Ils se mettaient en grève autrefois pour obtenir une augmentation de leurs salaires, ou une amélioration quelconque de leur existence ; ils le font aujourd’hui pour obtenir du gouvernement et des Chambres la proposition et le vote aussi rapides que possible de tout un ensemble de lois dont ils ont fait le cahier de leurs revendications. Ils ne peuvent pas s’adresser à leurs patrons pour obtenir qu’une loi soit votée : c’est plus haut qu’ils doivent faire remonter leur menace. Malheureusement les patrons sont les premiers à souffrir d’une situation à laquelle ils ne peuvent rien. Aujourd’hui, par exemple, si le prétexte de la grève dans la région du Nord est le mécontentement causé aux ouvriers par un abaissement des salaires, dans la région du Centre, de l’Est et du Midi, le prétexte est différent : les ouvriers y demandent le vote immédiat des lois que nous avons énumérées plus haut. Ce n’est donc pas seulement des compagnies houillères que dépend la solution. Spectacle tout