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REVUE LITTÉRAIRE.

à personne, M. Ernest Dupuy est parvenu à déterminer la nature des principaux « ajoutés » par lesquels le texte du Paradoxe, beaucoup plus étendu, diffère de celui des Observations. Ils se composent d’abord d’emprunts faits aux œuvres mêmes de Diderot, soit déjà parues, soit encore inédites ; en second lieu, de passages pillés dans les Mémoires de Mlle Clairon, dans la Vie de Diderot par Mme de Vandeul, dans l’Art de la Comédie, de Cailhava, dans les Préfaces dramatiques de Voltaire, enfin d’extraits de la Correspondance de Grimm. Centons et plagiats ne peuvent guère être mis sur le compte de Diderot ; il faut donc que la responsabilité en incombe à Naigeon : c’est lui qui se serait livré à ce travail de marqueterie pour entier le texte des Observations, et qui aurait, avec de vieux matériaux et des pièces de rapport, composé un ouvrage nouveau.

Le Paradoxe est-il donc l’œuvre de Naigeon, comme incline à le croire M. Dupuy ? Ou Diderot avait-il réellement composé des Observations une seconde rédaction que Naigeon aurait seulement retouchée ? C’est là le point sur lequel il est encore difficile de se prononcer et celui probablement sur lequel le dernier éditeur de Diderot, M. Maurice Tourneux, se propose de contester l’argumentation de M. Dupuy. Mais un fait semble suffisamment établi : celui du parfait sans gêne avec lequel Naigeon traitait le texte de son maître. La première conséquence en est qu’apparemment les historiens des lettres les plus favorables à Diderot, parleront désormais du Paradoxe avec un peu moins d’admiration qu’ils n’avaient pris l’habitude de le faire. Le décousu, les contradictions, les incohérences, les négligences et les non-sens, qu’il était facile d’y relever, passaient pour autant de beautés. Quelle verve, quelle fantaisie, quelle fougue ! C’était, saisie sur le vif, la conversation même de Diderot, qui fut un des plus éblouissans causeurs de son temps. L’éclat de ces mêmes beautés ne pourra manquer de se ternir dès qu’on sera réduit à n’y voir que des interpolations. Mais les conséquences de la découverte de M. Dupuy vont bien plus loin. Songez que le Paradoxe fut publié pour la première fois en 1830 dans un recueil en quatre volumes, de Mémoires, correspondance et ouvrages inédits de Diderot où se trouvaient, pour la première fois aussi, les Lettres à Mlle Volland et le Rêve de d’Alembert ! Songez que tous les écrits posthumes nous sont arrivés après une série de pérégrinations et d’aventures de toute sorte et par l’entremise de Naigeon, ou d’autres Naigeons, qui s’appelaient Grimm, l’abbé de Vauxcelles, Jeudy-Dugour, Brière et Walferdin ! C’est plus qu’il n’en faut pour éveiller nos doutes sur l’authenticité elle-même d’une bonne partie de l’œuvre