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la liqueur se peuplera. On aura l’apparence d’une génération spontanée.

Les solutions concentrées de diverses substances, les solutions sursaturées de sulfate de soude, de sulfate de magnésie, de chlorate de soude, sont aussi de merveilleux bouillons de culture pour certains organites minéraux, pour certains germes cristallins. De même, Ch. Dufour opérant sur l’eau refroidie au-dessous de 0°, qui est son point de solidification ; Ostwald, avec le salol conservé au-dessous de 39°, 5, qui est son point de fusion ; Tammann, avec le bétol qui fond à 96° ; et avant eux, Gernez, avec le soufre et le phosphore fondus, tous ces physiciens ont montré que les liquides en surfusion étaient aussi des milieux spécifiquement appropriés à la culture et à la propagation de certains individus cristallins déterminés.

Quelques-uns de ces faits sont classiques. Lowitz, en 1785, a constaté que, si l’on se procurait une solution de sulfate de soude, on pouvait la concentrer par évaporation de manière quelle contienne plus de sel que la température ne le comporte, sans que, néanmoins, la quantité excédante se déposât. Mais, si l’on projette un fragment solide, un cristal du sel dans la liqueur, aussitôt tout cet excès passe à l’état de masse cristallisée. Le premier cristal en a engendré un second, semblable à lui ; celui-ci en a engendré un troisième, et ainsi de suite, de proche en proche. Si l’on compare ce phénomène à celui de la pullulation d’une espèce de microbe ensemencé dans un bouillon de culture convenable, on n’apercevra qu’une seule différence sans importance : la rapidité extrême de la propagation des germes cristallins par opposition avec la lenteur relative de la génération des micro-organismes.

L’individu cristallin donne donc naissance à un autre individu conforme à son type, ou même aux diverses variétés de ce type, lorsqu’il en existe. Dans un tube recourbé en V et rempli de soufre en surfusion, Gernez projette, dans la branche de droite, des cristaux octaédriques de soufre, et, dans la branche de gauche, des cristaux prismatiques. De part et d’autre il se produit de nouveaux cristaux conformes au type ensemencé.

Ostwald a varié ces expériences, avec le salol. Il fond la substance en la chauffant au-dessus de 39°, 5 ; puis, à l’abri de tout cristal, il abandonne la solution en tube clos. Le salol reste liquide indéfiniment, jusqu’à ce qu’on le touche avec un fil de