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que 900 roubles et de place que pour treize personnes. Dès le mois de janvier suivant, une demoiselle Guirche reçut trente-sept jeunes filles dans sa maison. Maintenant l’internat loge soixante-dix-sept étudiantes dans une trentaine de chambres qu’elles occupent deux par deux et même trois par trois. Il y a en outre une vaste salle à manger, une salle de réception, un logement pour l’économe, des cuisines, etc. A raison de quinze roubles par mois les étudiantes sont logées, elles ont du thé deux fois par jour, un dîner de deux plats et un plat pour souper. J’ai été cordialement invitée à l’un de ces repas, après une visite dans toute la maison et quelques entretiens avec celles des étudiantes qui comprenaient le français. La plupart étaient occupées au laboratoire de chimie. J’ai surpris les autres dans leurs chambres où elles travaillaient graves, studieuses, modestement vêtues, dévouées corps et âme à leur besogne, on n’en pouvait douter. Sur presque toutes les tables se trouvaient la photographie de Tolstoï et celle de Gorki. Une blonde, charmante, en grand deuil, me dit qu’elle est Polonaise et qu’elle aspire à enseigner un jour dans son malheureux pays. L’émotion de sa voix quand elle prononce en français les mots : — Non, je ne suis pas Russe, — je ne sais quelle emphase naturelle et saisissante dans sa tristesse et sa fierté me sont restées présentes. Presque toutes celles avec lesquelles je cause me disent qu’elles veulent être institutrices à la campagne. L’une d’elles est revenue du fond de la Sibérie étudier encore, après avoir professé plusieurs années, misérablement payée[1], qu’importe ! Il faut voir la flamme d’enthousiasme qui s’allume dans ces yeux tristes, éclairant de maigres visages, pâles et fatigués par les veilles, par l’effort trop assidu. Je dis toute la sympathie, tout le respect qu’elles m’inspirent à une bienfaitrice de la maison, Mme Morozow : — « Elles sont certainement courageuses, » me répond-elle. L’instruction supérieure des femmes a été moins favorisée encore par le gouvernement à Moscou qu’à Pétersbourg. Lorsqu’elle commença dans la capitale, sous les auspices du professeur Bestougeff, les célèbres cours Guerrier existaient déjà ici ; ces cours furent fermés en 1888, et les femmes de Moscou attendent encore que l’Université leur devienne accessible aux mêmes conditions qu’à Pétersbourg.

  1. Une institutrice de village a, outre le logement, 300 roubles environ, tout compris.