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qui sache s’aider au besoin. Plus qu’autrefois, il aime à causer avec sa femme de ce qui l’intéresse lui-même. En tout cas une femme instruite lui impose davantage, il la traite mieux.

Rien n’est plus intéressant que d’écouter, sur le moment où les cours de médecine s’ouvrirent à Pétersbourg, celles qui furent jeunes en ces années bénies d’émancipation et de progrès pour la Russie qu’on appelle les années 60. La première demande officielle faite par une femme russe pour être admise aux cours de médecine dans une université de province remonte à 1861. Le conseil médical ne vit aucun inconvénient à la recevoir, pourvu qu’elle remplît les formalités obligatoires pour les étudians du sexe masculin. D’autres demandes se produisirent, et la présence de plusieurs femmes fut tolérée aux cours de l’Académie de médecine de Saint-Pétersbourg ; mais leur nombre s’accrut trop rapidement ; les dames prétendirent aussi s’imposer aux cours universitaires de mathématique, de jurisprudence, et le droit tacitement accordé d’abord fut retiré, sous prétexte d’examiner la question. Alors commença la migration des jeunes filles russes dans les universités étrangères. Le 2 décembre 1867, Mlle Nadine Sousloff obtint la première en Russie ses diplômes de docteur, après avoir soutenu à Zurich une thèse brillante. L’année suivante, une nouvelle exception fut faite ; puis les portes entrouvertes un instant se refermèrent et les jeunes filles reprirent le chemin de l’étranger. Cependant vers la fin de novembre 1867, Mme Eugénie Konradi réussit à présenter avec quelques chances de succès une supplique demandant l’organisation de cours universitaires réguliers exclusivement pour les femmes qui se rendraient à l’Université aux heures où seraient terminées les leçons des étudians. Elle obtint ainsi la création des cours supérieurs auxquels le nom du professeur Bestougeff est attaché. Mais les cours de médecine ne furent inaugurés qu’en 1872, sous l’influence des idées libérales accueillies alors par Alexandre II, et qui l’emportèrent sur de vives résistances. Une jeune fille généreuse, mariée aujourd’hui au général Schaniowsky, et qui depuis a continué ses largesses, donna 50 000 roubles pour l’aménagement des cours projetés. Ceux-ci durent beaucoup au général Miloutine resté en vénération parmi les femmes médecins qui furent les étudiantes de ce temps-là. Il était ministre de la Guerre et n’en avait pas moins sous sa dépendance l’Académie de médecine. C’est lui qui, en soumettant à l’empereur le plan