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dans le service irritait leur indiscipline : ils n’aimaient pas le camarade… Depuis le traité de Lunéville, demeurés sans hauts commandemens, ces parvenus de la guerre regrettaient amèrement la guerre, — et voilà que cette paix d’Amiens leur enlevait un dernier espoir de combat et de richesses. Ils se trouvaient, en ce moment, nombreux à Paris, les uns affectant une contenance boudeuse, les autres sollicitant de l’emploi : Moreau, Masséna, Macdonald, Augereau, Bernadotte, Lecourbe, Delmas, Oudinot, tous anciens généraux en chef ou divisionnaires de beau renom. L’avant-veille, une lettre du ministre Berthier leur avait enjoint d’assister à la cérémonie de Notre-Dame : ordre de service, en uniforme. Cette convocation les avait exaspérés. « Un service militaire, cette papelardise ? On n’irait pas à la corvée ! » Ils avaient alors dépêché vers le Consul cette mauvaise tête d’Augereau ; mais le Consul avait reçu l’ambassadeur de la belle façon : « Un manquement à la discipline ! Depuis quand s’avisait-on de discuter ses ordres ? On obéirait. » Et l’on avait obéi… Les généraux s’étaient donc réunis — soixante environ — dès neuf heures du matin, rue de Varenne, au ministère de la Guerre. Table dressée, superbe raout. On avait déjeuné bruyamment ; puis, après le Champagne, le café, la liqueur Amphoux, on s’était séparé. Les uns, montant dans les rares voitures du ministre, l’avaient accompagné aux Tuileries ; les autres, moins courtisans, s’étaient rendus directement à Notre-Dame…

Maintenant, fort excités par un copieux repas, ces jacobins, ces philosophes, pénétraient dans « l’antre de la superstition. » Mais là, stupeur et colère ; point de places réservées pour eux : l’évêque Bernier les avait oubliés. Furieux, ils arpentaient la nef, le chapeau à panaches sur la tête, traînant le sabre, faisant crisser l’éperon. En même temps, ils pestaient, ils sacraient : « Traiter de la sorte l’honneur, la gloire, l’égide même de la patrie ! » — le tout, en cette langue imagée de hussards conquérans d’escadres, de grenadiers chargeant des kaiserlicks. Autour de la chaire, ils apercevaient, groupés en belle ordonnance, une trentaine de « prêtaillons ; » des monsignori aux bas violets, de gras abbés en soutanelle ultramontaine — les suivans du cardinal-légat, — et aussi plusieurs petits collets gallicans, en manteau court, rabat, habit à la française. L’ingénieux Bernier les avait ainsi rassemblés, parterre d’applaudisseurs