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déjà le préfet du Palais, Didelot, formulait des observations. Alors, propos aigres-doux, paroles amères, mignonnes impertinences ; Mme Hulot protestait : « Un affront !… Eh bien, elle se plaindrait à son gendre, — et l’on saurait bientôt quelle sorte d’homme était son gendre ! » Puis, une ridicule attaque de nerfs : la sensible Eugénie jouait l’évanouissement. De guerre lasse, Mme Letizia céda enfin sa place, et la générale Moreau put demeurer assise à côté de la générale Bonaparte : elle aussi dominait l’assemblée… Cette vaniteuse petite comédie avait été fort remarquée ; mais, durant ce colloque, de bien autres scandales venaient d’éclater dans l’église…

On s’impatientait. Déjà deux heures de pause, et le Consul qui n’arrivait pas !… Beaucoup de ces hauts personnages rassemblés dans la nef, grands hommes de fortune, manquaient d’éducation. Très voltairiens pour la plupart, ils affichaient de l’irrévérence, et traitaient cette féerie chrétienne comme ils faisaient naguère des carrousses nationales. Ils causaient à voix haute, complimentaient les belles citoyennes, leur prodiguaient les petites agaceries. Plusieurs de ces déesses, divinités aux « Bosquets de Tivoli, » avaient apporté leur collation. On faisait la dînette ; on se partageait, en minaudant, la gaufrette de chez La Rose, ou le pâté de Corcelet : un pique-nique babillard, comme dans les grottes de Mousseaux, avec Notre-Dame pour réfectoire. Et là-bas, dans le chœur, le cardinal-légat, l’archevêque de Paris, vingt-quatre évêques en rochet et en camail, regardaient, effarés, le répugnant spectacle… Mais bientôt l’attente fastidieuse avait été égayée : une troupe de généraux venait de faire irruption dans la cathédrale, et y menait un insolent tapage.

Ils arrivaient, de fort méchante humeur : le Concordat leur déplaisait… Sortis, pour la plupart, des bas-fonds populaires, ces fils d’ouvriers ou de paysans étaient vite devenus des soldats magnifiques ; mais ils demeuraient encore de très grossiers soudards. Les outrageantes sottises qu’autrefois, volontaires nationaux, ils avaient entendues dans les clubs, s’étaient gravées en leur mémoire. Pour eux, les religions n’étaient que des « mômeries ; » le prêtre devait s’appeler un « calotin. » Du reste, plusieurs de ces glorieux va-nu-pieds de l’an II affectaient toujours des ferveurs jacobines. Conscience et foi politiques ? Oui, peut-être, pour quelques-uns ; mais jalousie, chez presque tous. La puissance du Premier Consul offusquait leur envie ; sa raideur