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Et tandis qu’à la batterie du Carrousel répondait le canon des Invalides, une bizarre cavalcade sortait de la rue de Jérusalem et s’engageait sur le quai des Orfèvres. Précédé de gendarmes, de trompettes et d’officiers de paix, le secrétaire général de la Préfecture de police, le citoyen Piis, commençait à parcourir la ville. Il devait s’arrêter dans douze carrefours, pour y lire une proclamation des Consuls, susciter l’enthousiasme, provoquer les vivats : « usage accoutumé dans les grandes solennités publiques. » Parvenue à la place du Tribunat, — ci-devant du Palais-Royal, — la chevauchée fit sa première halte ; les trompettes sonnèrent, et la lecture commença… Une mirifique prosopopée, cette proclamation des Consuls, signée d’ailleurs du seul Bonaparte, et toute bouffie de cette grandiloquence coutumière au vainqueur des Pyramides. Il expliquait aux peuples de la République ce que voulaient dire les mots : « pacification des consciences, » et certes son commentaire n’était pas d’un idéologue : « Français, soyons unis pour le bonheur de la patrie et de l’humanité… Ministres d’une religion de paix, que vos leçons et vos exemples forment les jeunes citoyens à l’amour de nos institutions, au respect des autorités tutélaires ;… qu’ils apprennent de vous que le Dieu de la paix est aussi le Dieu des armées !… »

Le soleil de germinal se dégageait à peine des buées matineuses que déjà l’ouvrier des faubourgs et le marchand de la ville commençaient à s’amasser aux environs du Carrousel. Ils savaient, l’un et l’autre, que tout à l’heure le « Grand Consul » allait se rendre à Notre-Dame pour y entendre un Te Deum, et ils accouraient, heureux de l’acclamer sur son passage… Quelle transformation accomplie en ces âmes, depuis neuf années ! Naguère, souverains dérisoires de la Révolution, « Cadet Bruleux » l’apprenti, et « Tranquille Bontemps » son patron, avaient applaudi Chaumette et la Déesse Raison, Robespierre et son Être Suprême. Elle était si gentille à voir, en son péplum antique, la citoyenne Momoro, et lui, Maximilien, pontifiait si vertueux avec son bouquet de roses ! Et voilà qu’aujourd’hui, artisans et boutiquiers se proposaient d’exalter plus encore Bonaparte replaçant sur l’autel le Dieu, si longtemps bafoué, de la Croix ! Pourquoi ce revirement en leur conscience ? Ils n’auraient su le dire. Aucun besoin de foi chrétienne, à Paris du moins, ne travaillait encore l’âme du populaire : elle était demeurée athée, tout au plus déiste et théophilanthrope. La bruyante explosion de