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70 REVUE DES DEUX MONDES. Ce matin, sa charité l’avait conduite en des quartiers excen- triques : elle avait toujours réservé beaucoup d’elle au bien qu’elle faisait sans qu’on le sût et ne perdait jamais de vue ses pauvres. Au sortir d’un inti’rieur navrant, le cœur gros de cette univer- selle misère, impossible à soulager de plus que d’une goutte d’eau et d’une miette de pain, une impression irrésistible lavait arrêtée devant une chétive petite église, au fond de Montrouge : un de ces pressentimens qui certifient qu’une chose doit être faite ici et non ailleurs, à l’instant ou jamais. Elle se sentait trop seule : si elle pouvait trouver une consolation, ce serait là; elle s’adres- serait au premier prêtre venu, précisément celui qui devait l’at- tendre pour lui cautériser l’âme; qui sait si les malheurs qui la frappaient, cet impossible amour et le divorce de Francine, n’étaient pas le mystérieux aboutissant de ces voies indirectes par lesquelles la Providence s’annonce et châtie? Elle était en- trée; la nef était humble, il y faisait sombre. Près du confes- sionnal, elle avait attendu que deux pauvres femmes eussent achevé de chuchoter leurs péchés; à son tour, elle s’était age- nouillée, dans un demi-jour, sur le prie-Dieu dur, elle avait parlé au grillage de bois, pour une oreille d’ombre; une bouche d’ombre lui répondait. Ce prêtre, dont elle n’avait pu discerner le visage, et qui ne pourrait pas plus la reconnaître qu’elle ne le saurait elle-même s’ils se rencontraient en plein jour, l’avait cruellement frappée dans son orgueil si vulnérable. « Elle s’était éloignée de Dieu et de l’Eglise, fallait-il qu’elle s’étonnât d’avoir été abandonnée à l’heure de la tentation? La punition était dans la fragilité avec laquelle elle avait cédé à cet amour coupable, qui avait commencé par la souillure du baiser et qui, sur cette pente de la damnation, descendrait vite à l’avi- lissement. » Il l’évoquait, cet avilissement, en termes si rudes, qu’elle se relevait chancelante, aveuglée par des larmes d’humi- liation : elle ne se sentait lavée ni par l’absolution, ni par les pénitences imposées : prier, revenir aux pratiques négligées, ne plus revoir Charlie, ne plus lui écrire... Elle avait besoin de res- pirer, de se reprendre : elle était brisée inutilement, son espoir se changeait en désabusement morne; le miracle attendu ne s’était pas produit : elle restait plus seule qu’auparavant. Elle s’en voulait d’avoir été faible à ce point, coupable envers Charlie d’une obscure trahison : qu’importai I qu’elle ne l’eût pas nommé ; pourquoi l’avait-elle mêlé à cette confession stérile, dont il ne