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et nous aurons de beaux bulletins. En somme, je suis de l’avis de Tacite, que vos philanthropes ont tant calomnié. Je trouve que c’est un très beau spectacle de voir la canaille s’entre-battre. Le mal, c’est cette affaire d’Italie, où, si la canaille se bat trop, il faudra peut-être lui donner un coup de main.

Je reçois de bien mauvaises nouvelles de M. Childe et qui me laissent peu d’espérance de le retrouver à Paris. Son fils m’écrit qu’il a eu l’honneur de vous voir dernièrement. Au milieu de tout ce fracas politique, que deviennent les inscriptions cunéiformes, dont vous ne me parlez plus ?

Adieu, cher monsieur, je pense être à Paris vers le milieu du mois prochain. Mrs Ewer et miss Lagden me chargent de vous remercier de votre aimable souvenir. Veuillez agréer l’expression de tous mes sentimens bien dévoués.


Cannes, 3 janvier 1862.

Cher Monsieur,

Si je ne vous ai pas répondu plus tôt, c’est que, à peine revenu des fêtes de Compiègne, j’ai été reconnu pour être un grand financier et l’on m’a mis dans une commission chargée de mettre ordre à la crise monétaire. Vous comprenez sans doute pourquoi j’ai accepté, mais vous ne vous figurez pas le peu de divertissemens que j’en ai retiré. Cela n’a pas duré moins de vingt jours avec grande effusion d’encre et de paroles et m’a empêché d’aller à Cannes aussi tôt que je l’avais projeté et que mes poumons le voulaient. Me voici enfin libre de ces tracas et installé ici dans mon ancien logement, en face d’une mer immobile, fort différente de celle dont vous me racontez les noirceurs. Je déjeune les fenêtres ouvertes, je me promène beaucoup, et je tire de l’arc par ordonnance du médecin, attendu que cela dilate les muscles intercostaux et autres dont j’ai à me plaindre. Mais ce qui m’irrite beaucoup c’est que je ne fais pas beaucoup de progrès dans l’art d’Apollon et que je ne respire guère mieux.

On a profité de votre absence pour donner une forte entorse à la paix du monde. Il est très probable que lorsque cette lettre arrivera dans ce poétique port du Trébizonde, les Yankees et les Anglais seront aux prises. Ici la colonie britannique, lord Brougham en tête, prétend qu’il n’y aura pas de guerre. M. William Brougham, qui a laissé pousser ses moustaches depuis qu’il est colonel de volontaires, se fonde sur ce que depuis cette