Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/730

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ici, au contraire, l’idée de la race, et celle de la supériorité des races aryennes en particulier, eut un retentissement considérable. Telle était l’impression provoquée par la traduction de l’Inégalité des Races (Stuttgart, 1897-1901, 4 vol.), qu’une seconde édition a dû être publiée presque en même temps que le quatrième volume de la première. Mais les succès de M. de Gobineau en Allemagne ne se sont pas bornés là. Les Nouvelles asiatiques y sont presque devenues populaires, et, avant tout, la traduction de la Renaissance, répandue en des milliers et des milliers d’exemplaires dans la collection Reclam, la plus populaire de l’Allemagne, a excité un vrai enthousiasme. Elle a même fait l’objet de lectures publiques dans nombre de villes de l’Allemagne du Nord.

Déjà, du vivant de notre auteur, Richard Wagner l’avait pris en amitié et lui avait fait, à Bayreuth, à plusieurs reprises, un accueil admirateur et de frère d’armes. D’autres Allemands éminens ont suivi son exemple ; de sorte qu’en 1894 on a pu fonder une Société Gobineau (Gobineau Vereinigung), ayant pour objet de publier, outre les traductions des œuvres principales de Gobineau, ses œuvres posthumes et ses correspondances, de r ééditer ses livres épuisés, de préparer sa biographie, etc.[1]. Cette société, qui compte actuellement 200 membres, s’est recrutée dans toutes les élites des pays de langue allemande et parmi quelques esprits distingués des pays voisins. Dans les listes des noms, on trouve des savans comme Ernst Curtius et Max Müller, des artistes comme Arrigo Boito et Bruno Schmitz, des poètes comme Ernst von Wildenbruch, des écrivains comme Edouard Schuré et Paul Bourget, pour ne citer que les plus célèbres.

Le fait que, dans cette société, nous rencontrons aussi des noms français, peut servir de preuve qu’au moins une minorité est restée en France fidèle au comte de Gobineau, et permet d’espérer, à ses admirateurs étrangers, qu’un jour peut-être son heure viendra dans sa propre patrie.

Et, en effet, si seulement on voulait s’occuper sérieusement de lui, il semble presque impossible que la France, représentée par ses meilleurs esprits, ne se souvienne un jour de son glorieux fils, lequel, quoi qu’on ait pu dire de ses côtés hétérogènes, de son manque de

  1. Entre autres, la troisième édition des Religions et Philosophies de l’Asie centrale. Paris, Leroux, 1900 et les éditions française et allemande de la tragédie posthume Alexandre le Macédonien (Strasbourg, 1901-1902, Trübner), ont été publiées aux frais de cette société.