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conclure que, si la parole est quelquefois d’argent, plus souvent encore le silence est d’or.


Ce que nous avons dit, il y a quinze jours, du colonel de Saint-Rémy et du jugement rendu à son sujet par le conseil de guerre de Nantes, nous dispense d’entrer dans les mêmes détails sur le cas du commandant Le Roy Ladurie, qu’un second conseil, réuni dans la même ville, vient de frapper d’une peine très sévère, la destitution. L’acte commis par les deux officiers était sensiblement le même, c’était un refus d’obéissance ; mais, dans le cas du colonel de Saint-Rémy, l’ordre venait de l’autorité civile, et dans celui du commandant Le Roy Ladurie il venait de l’autorité militaire, de telle sorte que le colonel était justiciable du Code pénal et le commandant du Code militaire, qui est beaucoup plus rigoureux. On sait, au surplus, qu’en ce qui concerne le colonel de Saint-Rémy, le ministre de la Guerre a compensé par sa rigueur l’indulgence que le conseil de guerre lui avait témoignée.

Nous ne pouvons que répéter ce que nous avons déjà dit de l’obéissance militaire, à savoir qu’elle doit être absolue ; mais aussi, dans l’exécution d’un ordre régulier, elle n’engage pas la conscience de l’officier. Les scrupules qu’ont éprouvés le colonel de Saint-Rémy et le commandant Le Roy Ladurie sont toutefois trop explicables pour que la gravité de leur faute n’en soit pas, au point de vue moral, atténuée. Au point de vue militaire, il ne saurait en être de même. Le jour où nos officiers seraient admis à discuter les ordres qu’ils reçoivent, il n’y aurait plus de discipline. Cette vérité nous est apparue avec plus de clarté encore, et plus de force s’il est possible, dans les réponses du commandant Le Roy Ladurie aux questions qui lui ont été posées, que dans celles du colonel de Saint-Rémy. Ce dernier s’était contenté de déclarer qu’il était chrétien et qu’il mettait les ordres de Dieu au-dessus de ceux des hommes. Le commandant Le Roy Ladurie a donné plus d’explications. Après avoir dit à son tour que sa foi religieuse lui avait interdit d’obéir, il a avoué que d’autres motifs encore l’y avaient déterminé. « Je n’ai pas voulu, a-t-il expliqué, prêter mon concours à l’exécution de mesures dont la légalité était discutée, non seulement par une grande partie de l’opinion publique, mais aussi par des jurisconsultes éminens et des hommes politiques, et non des moins en vue. » On sent le danger qu’il y aurait à admettre de pareilles excuses. Mais le commandant Le Roy Ladurie a été frappé trop sévèrement pour que nous ne nous arrêtions pas devant ce que son