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franchement la supériorité du génie de son rival plus jeune.

Mahan a donc considéré les quatre types choisis par lui comme offrant une sorte d’exposé analytique vivant du développement qui a précédé et préparé Nelson, et constitué un champ splendide pour le déploiement de son génie. Tout le volume est une étude philosophique de conditions et de tendances en réaction continue les unes sur les autres, ce qui ne l’empêche pas d’être en même temps une suite fort intéressante de portraits vigoureusement peints sur une solide trame historique.


V

Le jugement de Mahan sur le génie naval de Napoléon ou plutôt sur la conception qu’il eut de l’importance du Sea Power, est curieux à noter, en ce sens qu’il admet très nettement comme les historiens français que le succès de l’entreprise de Napoléon à Boulogne n’était nullement impossible. « Malgré tout le génie de Nelson et la ténacité des officiers anglais, un concours favorable de circonstances aurait pu amener quarante vaisseaux français dans la Manche et donner à Napoléon la maîtrise de la mer pour les quelques jours durant lesquels il en avait besoin. Le seul fait que les escadres d’observation durent être retirées de Rochefort et du Ferrol, afin de constituer la flotte avec laquelle Calder combattit Villeneuve, prouve que la marine anglaise, au point de vue du nombre, n’était pas dans des conditions propres à garantir une complète sécurité, et qu’elle aurait pu, dans quelque combinaison possible d’occurrences, se trouver dans un état d’infériorité en un point décisif… L’importance attachée par l’empereur à son projet n’était nullement exagérée. Il pouvait réussir ou échouer, mais s’il échouait contre l’Angleterre, il échouait partout. Avec l’intuition du génie, il le sentit et toute son histoire ultérieure l’atteste. À la lutte armée contre le grand pouvoir maritime succéda la lutte de l’endurance… Manque de revenu et manque de crédit, tel fut le prix payé par Napoléon pour le système continental, par lequel seul, après Trafalgar, il espéra écraser la puissance maritime. On peut douter qu’au milieu de toute sa gloire, il se soit jamais senti en sécurité après l’échec de l’invasion de l’Angleterre… Avant de rejoindre son armée il publia une adresse à la nation, où il dit : « Vivre sans