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Cressy, la perte du Cobra, due à une faiblesse de structure, et tant d’autres mésaventures, qui dépassent le taux normal et moyen des erreurs dans un établissement maritime même aussi considérable que celui de la Grande-Bretagne. Ces accidens accusent un défaut de compétence, un vice d’organisation. Ils attestent une négligence de l’instruction scientifique, un certain dédain des hommes de pratique pour la méthode et pour la théorie, un attachement exagéré à la tradition, à la routine, une habitude de se contenter de l’à-peu-près, du suffisamment bon substitué au parfaitement bon.

La nation anglaise, en général, ne prend pas l’éducation au sérieux ; elle ne croit pas au pouvoir salutaire du savoir. Il y a quelque temps, l’évêque de Londres dit : « Le grand défaut de l’Angleterre, à l’heure actuelle, est une conception très insuffisante de la valeur de la science en elle-même et de son importance pour la vie nationale. » Et sir John Gorst émet l’avis que l’enseignement technique, autour duquel on a fait beaucoup de bruit chez nos voisins, depuis quelque temps, est de peu d’utilité s’il n’est pas donné à un esprit déjà cultivé, instruit, à une intelligence préparée pour le recevoir. L’éducation générale, en Angleterre, n’est ni scientifique, ni profonde, et quand on lui superpose l’enseignement technique, celui-ci manque de solidité, les fondations n’étant pas sûres.

On commence cependant à reconnaître en Angleterre que le règne de la routine (the rule of the thumb) a fait son temps, que la science intelligemment assimilée et appliquée rationnellement est aujourd’hui le secret du succès continu dans tous les départemens de l’activité et de l’effort humains, qu’il faut étudier les méthodes du passé pour les comprendre, non pour les suivre aveuglément.

Il y a dans le personnel actuel de la marine britannique, du zèle, de la capacité, de l’énergie, du dévouement, comme autrefois. Ce qui manque, dans ce personnel, comme dans toute la nation, c’est la foi dans la science et dans l’intelligence appliquée. L’instinct de la mer et l’inspiration du moment ne suffiront plus pour gagner des batailles navales.

Les principales unités d’une flotte coûtent aujourd’hui chacune le prix de vingt vaisseaux de ligne d’il y a un siècle. Une machinerie, sujette à de multiples accidens, l’approvisionnement du combustible, sont l’objet d’incessantes anxiétés. La nuit était