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pour ainsi dire, le programme de sa vie. Pourra-t-il, même en tendant tous les ressorts de sa nature terrestre, suffire à ce programme ? Déjà l’Esprit de la terre, en lui apparaissant, lui a dit : « Tu es l’égal de l’esprit que tu comprends, tu n’es pas mon égal. »

Les deux dialogues qui suivent, entre Faust et Wagner, entre Méphistophélès et l’Écolier, et la scène de la Taverne constituent, avec le monologue et les conjurations, ce qu’on pourrait appeler, dans le Faust, primitif, la première partie du drame. Ensuite la « tragédie de Marguerite » se déroule sans interruption jusqu’à la fin. Wagner, c’est l’ancien famulus, qui se présente maintenant comme le type du pédant, borné et heureux, et heureux parce qu’il est borné ; c’est une création de Gœthe. Le personnage de Marguerite est également sorti de l’imagination et des souvenirs du poète. On a bien prétendu la retrouver, en retrouver du moins la première idée, dans la vieille légende. Le livre populaire de 1728 dit, en effet, dans ses dernières pages, que « Faust se prit d’amour pour une jeune fille, belle mais pauvre, qui servait chez un marchand de son voisinage ; mais elle ne voulut céder à son désir que sous la condition du mariage : c’est pourquoi Faust eut le dessein de l’épouser. » Il abandonna ce dessein quand Lucifer lui amena, « par grâce spéciale », la belle Hélène de Grèce. Si ce récit a passé sous les yeux de Gœthe, et s’il s’en est réellement souvenu, il faut avouer qu’il en a tiré un parti admirable. Il est plus probable que, fidèle à son habitude, il s’est confessé ici une fois de plus. Rien ne nous autorise à douter de la vérité du récit qu’il nous fait, dans le cinquième livre de ses Mémoires, de ses premières amours à Francfort. Que certains détails aient passé après coup du poème de Faust dans le récit des Mémoires ; que Gœthe, qui avait pour principe de transformer la réalité en poésie, ait quelquefois, par un procédé inverse, transformé la poésie en réalité, cela n’est pas impossible. Mais il est certain que Marguerite a vécu ; elle a vécu dans le cœur du poète, avant de se transfigurer dans son imagination. Plus tard, d’autres figures, particulièrement celle de Frédérique, se sont associées, mêlées à la sienne, pour constituer un même type idéal. « J’avais été obligé, dit Gœthe, de me séparer de Marguerite ; devant Frédérique, pour la première fois, je me sentais coupable. J’eus recours, pour apaiser mes remords, à mon remède accoutumé, la poésie ; je continuai ma confession poétique, afin de mériter, par cette expiation volontaire, l’absolution de