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encore moins avancés. Le Mahomet de Gœthe n’était pas, comme celui de Voltaire, un imposteur ; c’était un croyant, possédé du besoin de répandre sa foi. Il commence par adorer les étoiles ; mais bientôt, au-dessus des étoiles, il découvre celui qui leur a donné l’existence et qui a formé l’univers. « Élève-toi, cœur aimant, vers l’auteur de toutes choses ! Sois mon seigneur et mon dieu, toi qui as créé le soleil et la lune et les étoiles, et la terre et le ciel, et moi-même ! » La foi de Mahomet reste pure, aussi longtemps qu’elle est renfermée en lui-même, qu’elle demeure un colloque entre son dieu et lui ; elle se rabaisse et se corrompt, dès qu’il cherche à la faire pénétrer dans les âmes grossières. Il est obligé d’employer la force, même la ruse, pour faire triompher sa religion ; il suscite des inimitiés légitimes, et, à la fin, il meurt empoisonné. Deux chants lyriques et une scène en prose, c’est tout ce qui a été composé. Du Juif errant, poème héroï-comique dans le style de Hans Sachs, il nous est parvenu quelques lambeaux : l’expression est de Gœthe. Ahasver, c’est l’homme positif, qui ne voit dans le mouvement provoqué par le Christ qu’une infraction à l’ordre établi. Pourquoi entraîner le peuple dans le désert et le leurrer d’espérances chimériques, au lieu de le laisser vivre en paix du fruit de son travail ? Ahasver est condamné à errer sur la terre, jusqu’au jour où l’idéal proclamé par le Christ aura lui à ses yeux comme aux yeux de tous les hommes.

Ces fragmens étaient composés à l’heure propice, « sans longues méditations », souvent dans une promenade. Les amis de Gœthe l’appelaient, à cette époque, le voyageur, et il a montré, dans quelques odes où il croyait imiter Pindare, quelle était alors la disposition habituelle de son esprit. La plus ancienne, le Chant d’orage du voyageur, qui date de 1771 ou de 1772, est qualifiée par lui-même d’extravagante. Peu à peu l’effervescence se calme, sans pourtant se refroidir ; le Titan devient un homme, mais qui n’a pas cessé de regarder le ciel. Les œuvres de longue haleine prennent le pas sur les effusions purement lyriques. Dans un passage des Mémoires, qui se rapporte au printemps de l’année 1772, Gœthe écrit : « Faust était déjà avancé, Gœtz de Berlichingen se construisait peu à peu dans mon esprit[1]. » Au mois de juillet de l’année suivante, il envoie à Gotter, l’un

  1. xiie livre.