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VI

La tragédie de Gœthe est, après la Tragique histoire de Marlowe, le second renouvellement original de la légende. Gœthe, au moment d’écrire les premières scènes du premier Faust, ne connaissait pas l’œuvre de Marlowe[1]. Ce fut, d’après son propre témoignage, la pièce de marionnettes qui lui servit de point de départ. Il parle, au commencement de ses Mémoires, d’un théâtre de marionnettes, dernier cadeau de Noël qu’il reçut de sa grand’mère, « sur lequel des mains autres que les siennes firent d’abord mouvoir les personnages, mais qu’on lui permit bientôt d’animer de ses propres inventions ». Que jouait-on sur cette scène enfantine, dont l’impression se prolongea, dit-il, jusque dans son âge mûr ? Peut-être déjà le magicien Faust, comme le suppose Kuno Fischer. En tout cas, Gœthe put voir jouer déjà la pièce de marionnettes à Francfort, sa ville natale, où il resta jusqu’au commencement de sa dix-septième année. Il la vit sûrement représenter à Leipzig, où il fit ses premières études de droit, de 1765 à 1768. Il visita aussi, à Leipzig, la taverne d’Auerbach, où s’était passée, selon la légende, une des plus étranges aventures de Faust. Le livre de Pfitzer, quoiqu’il ne le mentionne pas à cette date, n’a pas dû échapper à son attention. Il nous apprend, en effet, à un autre endroit, « que l’histoire du Juif errant se grava de bonne heure dans son esprit par les livres populaires »[2] ; or, un de ces livres populaires les plus répandus était celui du Docteur Faust. Ce furent donc la pièce de marionnettes en première ligne, ensuite le récit de Pfitzer plus ou moins fidèlement reproduit dans des éditions populaires, qui fournirent à Gœthe les élémens encore grossiers et, pour ainsi dire, la matière brute de son chef-d’œuvre[3].

Il quitte Leipzig à la fin de septembre 1768, peu satisfait de

  1. La première mention qui en soit faite par Gœthe se trouve dans son Journal. On y lit, à la date du 11 juin 1818, ces mots : « Dr Faust de Marlowe. » Il s’agit de la traduction de Wilhelm Müller, précédée d’une préface d’Achim d’Arnim, et dont celui-ci avait offert un exemplaire à Gœthe. Il est probable cependant que Gœthe n’avait pas attendu jusque-là pour prendre connaissance de l’œuvre de Marlowe.
  2. Poésie et Vérité, xve livre.
  3. Voir un article de Frédéric Meyer de Waldeck, dans l’Archiv de Schnorr, 13e vol., 2e cahier, Leipzig, 1885.