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Angleterre, le rétablissement de la paix après les longues guerres civiles, l’extension des relations politiques et commerciales, l’accroissement de la richesse publique, l’empire de la mer qui s’ouvrait et le monde qui s’agrandissait devant l’imagination, enfin le contre-coup du mouvement général de l’époque, toutes ces causes réunies avaient développé le goût des lettres et des arts. L’Angleterre eut bientôt le premier théâtre de l’Europe. Des troupes de comédiens anglais voyagèrent sur le continent, d’abord dans les régions maritimes, dans les Pays-Bas, dans les villes hanséatiques, enfin dans toute l’Allemagne. On signale leur présence à Dresde et à Berlin entre les années 1585 et 1587, c’est-à-dire à l’époque où parut le livre de Spies. C’est sans doute par eux que le poète anglais Marlowe connut la légende. Sa Tragique histoire de la vie et de la mort du docteur Faust paraît avoir été écrite en 1588[1] ; lui-même mourut en 1593, dans sa trentième année. La première représentation connue du Faust, mais qui ne fut sans doute pas la première, eut lieu en 1594, et vingt-deux autres représentations suivirent jusqu’en 1597. La pièce fut imprimée en 1604, quand le succès au théâtre parut épuisé, et après que le texte eut passé par tous les remaniemens et renouvellemens qu’il plut aux comédiens de lui faire subir[2].

Marlowe était, selon tous les indices, un des esprits les plus déréglés de son temps. « On le considérait pour ses vers et on le haïssait pour sa vie », dit son éditeur anglais de 1826. Son contemporain Greene lui reproche ses discours impies. Il mourut dans un duel. S’est-il peint lui-même dans Faust, comme on l’a quelquefois insinué ? Ce serait une incarnation de plus dans ce sujet à face multiple. Ce qui est certain, c’est qu’il a fait vivre le personnage ; d’un symbole il a fait un homme. Le Faust de Marlowe n’est ni un sceptique, ni un croyant ; c’est un esprit dévoyé, à qui la direction de sa vie échappe, et qui, après avoir voulu savoir, pouvoir, jouir au-delà de toute mesure, finit par

  1. Des allusions à la campagne de la Grande Armada, au siège d’Anvers par Alexandre Farnèse, duc de Parme, et à ses projets de descente en Angleterre rendent cette date probable. La traduction anglaise du livre de Spies est probablement un peu postérieure.
  2. Édition moderne de H. Breymann (Heilbronn, 1889). Traduction allemande de Alfred van der Velde (Breslau, 1870). Traduction française de F. Rabbe Paris, 1889). La traduction de François-Victor Hugo est très défectueuse, et l’introduction est un tissu d’erreurs.