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chargé. Dès le début, Barrande éclate en une vive sortie, disant « qu’il ne pouvait se dissimuler les motifs de l’arrivée des Jésuites, que c’était une punition qu’on voulait lui faire subir et qu’il ne croyait point l’avoir méritée ; que dans l’abbé Déplace on prétendait lui donner un aide ; qu’il n’en avait pas besoin ; qu’il pouvait suffire à tout pour l’avenir comme pour le passé ; que le jeune prince ne savait rien que ce qu’il lui avait enseigné ; » puis les choses les plus dures et les plus désobligeantes pour le gouverneur.

Celui-ci, en chrétien, ne voulut pas se plaindre, mais comme M. Barrande avait lui-même eu l’imprudence de raconter la scène, le récit en vint aux oreilles de Charles X, qui lui fit signifier son congé.


Le départ de Barrande, lisons-nous dans une relation écrite par l’un des témoins de ce petit drame, fut pour le royal élève une peine sensible. « Il me punit, disait-il, mais il est juste et je ne l’en aime pas moins. » Les larmes de M. le Duc de Bordeaux coulèrent, l’humeur s’en mêla bientôt et il ne cacha pas quelques dispositions hostiles contre le nouvel instituteur.

Le baron de Damas et l’abbé de Moligny, inquiets des dispositions du prince, offrirent au P. Déplace d’assister aux leçons ; il les remercia et fit bien. Soit que le jeune prince lui sût bon gré de cette confiance, soit que Dieu, maître des cœurs, eût changé le sien en un instant, au lieu de ces manières rudes et hautaines qu’on appréhendait, il ne marqua au Père que bienveillance, douceur, affabilité ; il prit même si bien goût à sa manière d’instruire, qu’au sortir de sa leçon, il alla se jeter au cou du baron : « C’est délicieux, lui dit-il, c’est délicieux ! » Il le répéta dans la soirée au Roi qui voulut bien le redire à MM. Druilhet et Déplace, le lendemain, dans le parc de Gary, où il les rencontra au détour d’une allée : « Bordeaux est fort content, je le suis aussi et je me félicite de vous avoir placés auprès de lui. »

Tout alla bien pendant quelques semaines ; on remarquait dans le jeune prince une amélioration sensible, un ton plus raisonnable, un langage plus soigné, des manières plus graves, plus convenables à un prince. Le Roi, le Dauphin, la Dauphine, en témoignèrent successivement leur satisfaction. « Marquis, disait un jour M. le Dauphin à M. de Foresta, ces Messieurs que vous avez amenés, c’est du bon. Bordeaux en est content, nous le sommes tous. »


Cela ne faisait pas l’affaire du parti qui craignait par-dessus tout qu’on fît du Duc de Bordeaux un prince religieux. Une femme, dont les enfans avaient partagé les leçons du prince, ne put pardonner au baron de Damas de les en avoir tout récemment écartés. C’était elle qui avait poussé Barrande à faire la scène dont nous avons parlé, en l’assurant qu’il serait soutenu.