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ou plutôt l’appeler à en connaître enfin les douceurs. Mais la Providence en avait disposé autrement.

Le baron de Damas avait quitté Paris dans les derniers jours d’avril 1828 pour se rendre en Nivernais dans sa terre d’Anlezy, qu’il ne connaissait pas encore. Ce fut à Nevers, où il dînait chez le comte et la comtesse de la Rochefoucauld-Cousages, qu’une estafette lui apporta cette lettre :


Paris, 22 avril 1828.

Vous devez être déjà instruit, mon cher baron, de la perte cruelle que je viens de faire. Le bon et excellent Rivière est mort hier matin. Le malheur est déchirant pour mon cœur, et je sens profondément tout ce qu’il a plu à Dieu de m’enlever ; mais en me soumettant autant qu’il est en moi aux décrets de la Providence, je dois remplir tous les devoirs qui me sont imposés. Le premier est de donner un successeur à celui que j’ai perdu.

J’ai cherché un homme religieux, moral par principe, dont l’attachement me soit bien connu, dans une situation élevée dans la société, d’un âge qui le mette à même de continuer et de terminer l’éducation de l’enfant que le ciel nous a donné, et dont les services militaires le mette (sic) à portée de donner à son élève le goût et le talent du grand art dont mon petit-fils aura peut-être un si grand besoin.

D’après ces motifs, je n’hésite pas à vous dire que j’ai jeté les yeux sur vous pour remplir cette grande et si importante fonction.

Cette preuve d’une entière confiance et d’une complète estime ne peut pas être considérée comme une faveur que je vous accorde, au contraire je la regarde comme un sacrifice que je vous demande.

J’ajouterai que je vous écris d’accord avec la Duchesse de Berri, ainsi qu’avec mon fils et ma belle-fille.

Répondez-moi un mot par l’estafette que je vous envoie, et annoncez-moi le jour où vous reviendrez près de moi, si, comme j’aime à n’en pas douter, vous accédez à ma demande.

Je n’ai pas besoin de vous parler de mon affection et de ma confiance.

CHARLES.


Dès ma jeunesse et lorsque je servais l’empereur Paul, dit le baron de Damas dans des Mémoires écrits pour ses enfans, j’avais pris l’habitude d’obéir promptement, sans réflexion, sans m’arrêter aux considérations diverses et souvent raisonnables qui auraient pu me retenir, ne fût-ce que pour me préparer aux devoirs que j’allais accomplir. Mon parti fut donc bientôt pris : la lettre du Roi était bonne, touchante ; refuser, hésiter, m’eût paru un crime. Après l’avoir lue, je répondis sur-le-champ ; j’annonçai mon départ pour le lendemain : ce jour-là même ou le surlendemain je serais dans le cabinet du Roi.

Cette conduite toute simple, toute naturelle, a pu permettre à mes ennemis de supposer en moi une profonde habileté. Le Roi avait pris son