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déçue, oublie peu à peu ses ambitions, peut-être trop vastes, des premières années, quand elle montrait, parmi ses terrains vagues, l’emplacement du futur palais du bey, de la résidence générale, de l’hôtel du commandant de la division d’occupation A coup sûr, si les Français étaient arrivés, comme autrefois Didon, dans un pays sans villes ni ports, c’est à Bizerte, et non à Tunis, qu’ils auraient fondé leur colonie principale. Mais, Tunis existant, il n’était ni possible, ni souhaitable de la transporter, d’un coup de baguette, à Bizerte ; il fallait se contenter de faire jaillir du sol une ville nouvelle. De toutes parts les constructions neuves s’élèvent : ici, c’est un grand hôtel, là une église qui va remplacer la petite paroisse ancienne, blottie au milieu des masures arabes près des murailles de la vieille cité ; un théâtre a été ouvert l’année dernière, pour égayer une garnison campée sous la tente ou dans des baraquemens ; des casernes sont presque achevées. Mais il n’est pas rare encore, à côté de ces édifices tout neufs, de trouver un marécage, où les grenouilles, la nuit, font un bruit de crécelles ; il n’y a guère plus d’un an qu’un écriteau, planté au milieu d’un terrain vague, portait l’inscription « Mairie et Justice de paix. » Tout se transforme à vue d’œil, dans la « cité champignon » de Tunisie ; presque chaque jour des magasins nouveaux sont ouverts, des maisons neuves sont habitées, le commerce et l’animation grandissent. L’achèvement de l’arsenal, du port et des défenses, la construction de nouvelles lignes de chemins de fer, feront de Bizerte, dans peu d’années, la première place forte de l’Afrique française et la seconde ville de la Régence[1].


IV

La vie, à Bizerte, n’est pas concentrée dans la ville ; elle se répand sur les rives du lac et sur les collines prochaines. — Franchissons le canal, et, par la route de Tunis, montons parmi les oliviers et les cactus des jardins de Zarzuna ; devant nous, au sommet du Djebel-Rouma, se profilent les casemates d’un fort ; plus à l’est, la batterie du Djebel-Remel, installée sur une

  1. D’après les chiffres du recensement du 16 décembre 1901, l’on comptait, dans le contrôle de Bizerte, 3 559 Français (dont 2 354 pour la ville elle-même) contre 934 en 1896. — Bizerte vient d’obtenir la création d’une Chambre de commerce.