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r548 REVUE DES DEUX MONDES. friraient... la vengeance de cet homme les poursuivrait d’au- tant plus haineusement... Le tuer, oui, comme au moyen âge, le jugement de Dieu... Bon débarras !... Mais comment, lui, Charlie, avec son respect des principes et ses scrupules, eût-il pu se jeter dans cette aventure? A quel titre? De quel droit? Mais du moins. M""* Favié ne doutait pas de lui, oh non! Et elle lui raconta, par diversion, que les Pongiboz, les derniers cousins qui leur restassent, avaient attendu le rejet du divorce pour briser avec elles au nom de la religion et de la morale outragées. — Ah ! murmura-t-il, comme l’on étouffe de ne pouvoir crier aux gens ce qu’on pense d’eux... L’humanité est laide... Sans vous, sans votre radieuse conscience qui illumine la mienne, je serais parfois le plus découragé des hommes. — Ne dites pas cela, Charlie, votre vie sera belle. — Elle eût pu l’être si vous l’aviez voulu... — Elle le sera, vous serez aimé... — Un seul être m’importe... Il la contemplait avec une ardeur si tendre et si passionnée qu’elle soupira, avec quelle vraie et profonde mélancolie! — Charlie, demain, je serai une vieille femme... ne me regardez pas ainsi, je croirais que vous découvrez un cheveu blanc ou ma première ride... Il s’irrita, et elle jouit de son reproche : — Jamais vous n’avez été plus belle, pourquoi me faites-vous souffrir?... Et la gorge serrée d’émotion : — Vous savez bien que vous êtes pour moi la bonté parfaite et la splendeur des choses; trop d’affinités nous lient pour que je cesse de vous adorer, mais il y a dans cette joie une véritable souffrance, et ne comprenez-vous pas que j’en meurs? De la main, elle lui fermait la bouche, presque durement; à ce contact, frissonnante d’un baiser qu’elle sentit descendre en elle, et sans qu’elle sut comment, saisie, emportée par une force irrésistible, elle se trouvait dans les bras du jeune homme. — Gabrielle, bien-aimée... — Charlie aimé... ^Si bas que ce fût, un souffle, ce mot suave, il l’entendit, le