Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obtenues des États musulmans de la Méditerranée. Les puissances étrangères conservaient donc, en Tunisie, avant comme après les événemens de 1881, la juridiction exclusive sur leurs nationaux et devaient jouir, en vertu de « la clause de la nation la plus favorisée, » des mêmes avantages commerciaux que la France pourrait obtenir pour elle-même. Cet état de choses, nécessaire et légitime tant que le bey et ses ministres exerçaient la plénitude de la souveraineté, devenait gênant et humiliant pour la France, depuis qu’elle s’était interposée entre le gouvernement beylical et les autres États européens. Cette terre, que le sang de nos soldats avait chèrement achetée, nous n’en étions donc qu’à demi les maîtres ; tout contrôle nous échappait sur les nombreux étrangers domiciliés dans la Régence ; nos industriels et nos commerçans se plaignaient qu’aucun avantage douanier ne fût fait à leurs produits et que les importations françaises ne pussent se développer, dans un pays occupé par nos troupes et dont nous avions pris la dette à notre charge. Ainsi les droits de la France paraissaient se borner à une coûteuse occupation militaire, à une garantie financière onéreuse, à la surveillance de l’administration et des finances indigènes et au contrôle des relations extérieures du bey. Avant d’achever, en Tunisie, son œuvre de réorganisation et de mise en valeur, avant de songer à fortifier Bizerte, il s’agissait donc, pour le gouvernement français, d’amener les puissances européennes à renoncer à leurs anciennes « capitulations, » incompatibles avec le régime nouveau, et à admettre qu’il ne pouvait plus exister en droit, puisqu’il n’existait plus en fait, égalité de traitement et parité de situation entre elles et la nation protectrice. Il fallait entamer une série de négociations d’autant plus délicates, pour notre diplomatie, que nous demandions aux autres États de renoncer, en notre faveur, à des avantages dont nous leur avions, nous-mêmes, garanti le maintien, et à des droits que rien n’était venu, juridiquement, rendre caduques[1].

Nous ne saurions, durant cette courte excursion à Bizerte, faire l’histoire complète de « la révision des traités tunisiens[2]. » Il serait cependant très intéressant d’y montrer une application

  1. Ces traités ou « capitulations » étaient des conventions sine die, des conventions perpétuelles, ou tout au moins sans échéance déterminée, sauf en ce qui concernait le traité italo-tunisien.
  2. C’est le titre du Livre jaune publié en 1897.