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borne à déclamer lui-même en leur présence, disant « qu’il n’est pas un professeur, mais un modèle ; » aussi n’appelle-t-on pas ceux qui se pressent autour de lui ses disciples, mais ses auditeurs. Je crois bien qu’une partie des défauts qui ont fait à ces rhéteurs une si mauvaise réputation, doit venir de là ; si, par le choix de leurs sujets, ils s’éloignent de ceux qui se traitent dans les tribunaux, ils cherchent à s’en rapprocher par la manière dont ils les traitent. C’est le souci qu’ils avaient, malgré tout, de paraître « des gens du Forum, forenses[1], » qui trop souvent les amène à reproduire, en les exagérant, les procédés des avocats de leur époque.

Quand plus tard, après dix siècles, la Renaissance revint aux exercices scolaires de l’antiquité, qu’on rétablit, dans les classes, le discours, qui remplaçait la déclamation, les conditions étaient changées ; l’école n’avait plus avec le barreau les mêmes attaches ; il ne s’agissait plus, comme autrefois, d’y faire uniquement des orateurs, on visait plus haut : dans l’enfant on voulait former l’homme, et il semblait que, pour lui faire un jugement droit, un esprit orné et nourri, une âme libérale, ces vieux exercices, pratiqués d’une autre façon et dans un esprit différent, pouvaient rendre de grands services[2]. Au lieu de borner leur efficacité à un métier particulier, comme faisait l’antiquité, on s’en servit pour créer cette éducation générale, qui précède l’instruction professionnelle et prépare à la recevoir avec profit. C’est celle qu’ont adoptée, depuis la Renaissance, toutes les nations du monde civilisé, et comme nous avons vu que le principe même et l’origine de cette éducation se trouvent déjà dans les écoles romaines, il m’a paru que c’était une raison suffisante de les étudier.

  1. Le mot est de Pollion, à propos de Porcius Latro ; et il ajoute que ce souci exagéré est ce qui montre bien qu’il n’est en réalité qu’un homme d’école.
  2. Un des esprits les plus distingués de notre temps, J.-J. Weiss, a publié, dans la Revue des Deux Mondes (15 sept. 1873), un article intitulé : l’Éducation classique et les exercices scolaires. Le Discours. Quoique l’article ait près de trente ans de date, il s’applique si parfaitement à ce qui se passe sous nos yeux que je ne puis m’empêcher d’en citer les dernières lignes. « Nous prisons, autant qu’on doit le faire, tout ce qui est du domaine de l’intelligence et du génie, sciences naturelles et historiques, sciences mathématiques, économie, statistique, philologie, archéologie et le reste ; mais les nombres et leurs abstractions, la géométrie et ses déductions, les sciences naturelles et leurs classifications, l’histoire et ses phénomènes, la logique même et ses lois, ne sont que des parties de l’homme et de l’entendement humain. Les humanités et les lettres sont l’homme lui-même ; pour leur enlever l’éducation, il faudrait commencer par ôter l’homme de l’homme. »