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n’arrive guère à se rajeunir que par le dehors et les détails. S’il est vrai, comme il le prétend, qu’il soit l’image de la vie, il faut croire que la vie, qui lui fournit si peu de situations et de caractères, doit être d’une désolante uniformité ; et comme on voit que les déclamateurs, qui se sont moins asservis à la réalité et se livrent davantage à leur imagination, n’ont pas mieux réussi que les auteurs dramatiques à varier les sujets qu’ils traitent, on peut en conclure que l’esprit humain n’est pas plus fécond et plus riche quand il se permet d’inventer ce qu’il veut que lors qu’il se contente de copier ce qu’il voit.

Le moyen qu’on emploie d’ordinaire à l’école pour donner un peu de nouveauté aux sujets vieillis, c’est de les combiner ensemble. On va prendre dans l’un quelques incidens qu’on introduit dans celui qu’on veut enrichir. Quelquefois on y mêle des personnages qui n’y figuraient pas d’abord, surtout des pirates ou des tyrans, les personnages chéris des déclamateurs. Souvent on se contente de quelques légères modifications qui, sans en altérer le fond, en renouvellent un peu l’apparence. Ce procédé est visible dans une des déclamations qui paraît avoir eu le plus de succès dans les écoles, celle de la jeune fille enlevée. On imagine une loi qui n’a jamais existé nulle part. Elle ordonne que lorsqu’une jeune fille a été enlevée, elle a le droit de choisir entre deux satisfactions, ou bien son ravisseur sera mis à mort, ou il l’épousera sans dot. Rien ne paraît d’abord plus simple, et l’on ne voit pas d’où un procès peut naître. Cependant il peut arriver que, si la jeune fille se décide pour le mariage, son père n’y veuille pas consentir ; il en a le droit, et alors il faut plaider. Il se peut aussi, ce qui est beaucoup plus surprenant, mais non tout à fait impossible, que ce soit le père du coupable qui refuse et qui aime mieux voir son fils mort que marié ; en ce cas, il ne reste d’autre ressource que de l’accuser de folie. Mais voici une conception plus extraordinaire : on suppose que, dans la même nuit, le jeune homme ait enlevé deux jeunes filles, et que l’une demande sa mort, tandis que l’autre consent à l’épouser. La situation devient fort embarrassante ; mais elle a l’avantage d’être, pour les orateurs, une occasion de traits spirituels et de phrases piquantes ; on se doute bien qu’ils ne manquent pas de la saisir. L’un d’eux imagine que, si la nuit avait duré, il en aurait sans doute enlevé une troisième. Aussitôt un autre de dire : « Je vous félicite,