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(agere causam, actio). Comme on avait peu de souci de la forme, on ne prenait pas la peine d’écrire les discours d’avance pour les répéter de mémoire. Même au temps de Cicéron, on fut surpris qu’Hortensius l’eût fait quand il défendit Messalla. L’affaire finie, on ne s’en occupait plus, et ce n’est qu’assez tard qu’on eut l’idée de récrire le discours après qu’il avait été prononcé, soit pour l’instruction de ceux qui ne l’avaient pas entendu, soit pour en conserver le souvenir à la postérité.

Il n’était pourtant pas possible qu’avec le temps on ne fût pas amené à faire quelques réflexions et quelques observations à propos des merveilleux effets qu’on voyait produire à la parole dans les assemblées publiques. D’abord on s’apercevait bien qu’en général les orateurs ne réussissent pas tout de suite et que plusieurs, dont les débuts avaient été fort médiocres, arrivaient plus tard à se faire écouter et applaudir. On en conclut naturellement qu’un certain apprentissage n’était pas inutile, qu’on se forme à la parole comme au reste, et probablement par les mêmes moyens, c’est-à-dire par l’exemple et la pratique. On imagina donc un genre d’éducation particulière à l’usage de ceux qui se destinaient à la vie politique. Tacite nous dit que le jeune homme qui voulait apprendre à parler, quand il avait fini ses premières études, était conduit par son père ou l’un de ses proches chez un orateur célèbre, qu’il fréquentait sa maison, qu’il raccompagnait hors de chez lui, qu’il l’écoutait lorsqu’il parlait au peuple ou devant les juges, « apprenant ainsi la guerre sur le champ de bataille, » ce qui lui paraît bien meilleur que d’aller s’enfermer dans les écoles de rhétorique. Plus tard, quand les jeunes gens, formés à cette discipline, étaient devenus des orateurs à leur tour, qu’ils défendaient leurs cliens en justice, qu’ils parlaient au Forum et au Sénat, d’autres réflexions devaient leur venir à la pensée. Ils n’avaient pas de peine à s’apercevoir qu’il y avait certaines façons de prendre le public et de l’amener à son sentiment, et quand la situation leur paraissait semblable, ils n’hésitaient pas. à se servir de celles qui leur avaient une fois réussi. Il n’y a donc pas d’orateur qui n’ait ses procédés, c’est-à-dire sa rhétorique, seulement dans les époques primitives chacun a la sienne, qu’il n’a pas apprise à l’école, qu’il s’est faite à lui-même, pour son usage particulier. Caton, qui devait avoir en ce genre plus d’expérience que personne, ayant été si souvent accusateur et accusé, eut l’idée de communiquer