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sauras à coup sûr que ce que tu fais est bien, et tu comprendras toute chose, et le monde entier te sera un plaisir. Notre cœur auprès de Dieu, Jœrn, et nos mains contre tout ce qui est mauvais : c’est là ce que nous enseigne le Sauveur !

— J’entends ce que vous voulez dire ! répondit Jœrn. Oui, se soumettre à Dieu, et, ensuite, lutter contre le mal, contre les mauvais chiens et les mauvais hommes !

— Oui, Jœrn, mais avant tout contre nos propres fautes !… Apporte-moi ta veste demain matin, n’y manque pas ! Je te la recoudrai pour rien !

Le lendemain matin, lorsque la vieille Wieten Klook vint prendre les vêtemens de Jœrn pour les brosser, comme elle faisait tous les jours, il lui raconta que Rose voulait lui recoudre sa veste, et sans être payé.

— Oh ! celui-là est un drôle de saint ! fit-elle. Qu’est-ce qu’il t’a dit encore ?

—Si je l’ai bien compris, répondit Jœrn, il m’a dit que la meilleure vie serait celle où l’on travaillerait les uns pour les autres.

— Le pauvre vieux ! À son âge, il reste bête comme un enfant !

— Pourquoi dis-tu cela ? s’écria Jœrn. Il est actif et sobre. Personne ne saurait lui rien reprocher. Avec ça, toujours content et toujours aimable. As-tu oublié que, l’autre jour encore, il a fait gratuitement le costume de confirmation du petit Dierksen ?


— Oui, et puis après ? S’est-il seulement amassé quelques sous ? Il travaille du matin au soir : et qu’est-ce qui lui en reste ?

Au moment de partir pour son ouvrage, Joern s’arrêta dans la cour, et se dit : « Voilà trois opinions différentes ! Ce que prêche le pasteur dans l’église, personne ne saurait le prendre au sérieux. Ce que dit le vieux tailleur, cela a un sens. Mais ce que dit Wieten, cela aussi a un sens. Le tailleur dit : travailler pour les autres, au nom de Dieu ! Et Wieten dit : travailler pour soi-même, en son propre nom. »

Tout à coup il se ravisa et revint vers la cuisine. Wieten, tournant le dos à la porte, peinait auprès du fourneau.

— Écoute un peu ! lui cria Jœrn. Tu prétends que le tailleur ne m’a dit que des sottises ! Mais alors, dis-moi donc ce qui en est à ton propre sujet ! Depuis que je suis au monde, tu travailles pour rien, dans cette maison où trois ivrognes dépensent aussitôt l’argent que tu leur fais gagner ! et tu as encore à te tourmenter, du matin au soir, avec des filles de ferme qui ne veulent pas obéir ! Pourquoi donc fais-tu tout cela ! Qu’est-ce que signifie cette vie où tu te condamnes !

Elle le regardait bien en face, stupéfaite. C’était la première fois qu’il lui parlait en homme ; et il vit qu’elle ne parvenait pas à trouver une réponse. « Mon petit, dit-elle enfin, ne t’inquiète pas de ça ! Va ton chemin, et ne te mets pas à avoir des arrière-pensées ! » Et Joern s’en alla tout pensif, sa veste à la main.


Mais le principal mérite de Jœrn Uhl, — et celui aussi que j’aurais le plus de peine à bien définir, — c’est que cette imitation de David Copperfield est essentiellement une œuvre « allemande ». Elle l’est