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outils, marteau, pioche ou forêt dont l’homme s’est toujours servi pour prolonger les mouvemens de ses muscles. — D’ailleurs ne faut-il pas d’autant plus d’aiguilles à coudre que l’on fabrique plus d’étoffes et de toile ; ne faut-il pas pour casser les pierres d’autant plus de marteaux que l’on crée plus de routes ?

C’est un fait d’expérience constante qu’une société qui croît en civilisation provoque des phénomènes nouveaux et de nouvelles conditions sociales ; qu’elle engendre avec une différenciation graduelle des possibilités nombreuses d’adaptation pour les individus et les groupes, pour les fonctions et les choses. — Une société complexe fournit aux individus plus de situations qu’une société simpliste. Ces situations, toutefois, sont inégales et loin de marcher vers le nivellement et la concentration, nous nous en éloignons

Dans l’agriculture comme dans l’industrie, notre société offre une variété absolue d’aspects et une liberté absolue de systèmes : elle admet côte à côte la grande, la moyenne, la petite propriété capitaliste, le domaine de l’État, les biens communaux, le faire-valoir direct familial, et ainsi de suite.

Un voyageur verrait, en faisant le tour du monde, se dérouler la succession des types d’économie agricole, depuis les petites cultures domestiques de la Bukovine jusqu’aux grands domaines prospères de l’État australasien, jusqu’aux misérables latifundia de Sicile où grands seigneurs et ouvriers à la fois pratiquent l’absentéisme.

Il constaterait que tout dépend du sol, du climat, des qualités morales et physiques des habitans ; de l’importance des sacrifices à faire pour l’outillage ; des ressources dont on dispose, du degré de facilité du transport des produits, des efforts qu’impose la concurrence, comme de la densité de la population. Il se dirait que, pour niveler les inégalités, il ne suffirait pas d’une bureaucratie collectiviste contrôlant le travail, ni de l’unification des conditions d’exploitation ; il faudrait unifier partout la chaleur du soleil, la fertilité des régions, l’intensité des désirs et des besoins ; et, alors encore, rien ne serait fait, si on ne limitait pas la croissance de la population.

À aucune époque et dans aucun pays, le régime agricole ne peut donc revêtir d’empreinte uniforme, et refléter le dogmatisme simpliste des théoriciens. Le régime le plus individualiste connaît des biens communaux. Le régime le plus communiste, tel