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de l’aimer, l’autre martèle chaque jour et trouve chaque jour le métier plus dur.

Le maître ne pense pas avoir rien fait tant que la nourriture donnée aux élèves n’a pas été digérée par eux et tant que leur appétit n’en demande pas davantage. L’autre donne aux clous le nombre de coups fixé et pense après cela être en règle.

Le maître encourage, l’autre punit.

Le maître est, de cœur, un enfant, de tête, un homme. L’autre a la dureté de l’homme et l’irréflexion de l’enfant.

Le maître tâche de rencontrer les enfans sur leur propre terrain et de se mettre à leur point de vue. L’autre siège bien au-dessus d’eux et pontifie de là-haut.

Enseigner, ce n’est pas distribuer la connaissance, ni faire de claires leçons ; c’est pénétrer au cœur et à l’esprit si bien que le disciple commence à estimer la science et à s’en croire capable.


Qu’on veuille bien relire cette page, une des moins irritantes de ses œuvres. Toutes ces idées sont entrevues plus que comprises et possédées. Aucune image définitive, aucune formule n’atteste la sûre maîtrise de l’écrivain qui sait ce qu’il veut dire et qui le dit. A chaque nouveau paragraphe on attend le mot décisif qui ne vient jamais. Et puis, que ces conseils sont vagues et insuffisans ! Il a certes grandement raison de nous dire que la plus brillante des conférences ne sera jamais une vraie classe, mais reste à savoir comment il faut s’y prendre pour pénétrer « jusqu’au cœur et à l’esprit de l’enfant. » Mind must touch mind. Il faut un contact entre l’esprit du professeur et celui de l’élève. Voilà encore un de ses oracles. Et grand Dieu ! nous le savions avant d’aller à Uppingham, et nous avons un peu le droit de perdre patience quand cette longue expérience ne nous apprend rien de plus pratique et de plus précis.

Quant aux classes de Thring, son journal et les souvenirs de ses élèves nous permettent de les reconstituer sans peine. Très différent de Thomas Arnold, le directeur d’Uppingham, n’était pas, à proprement parler, un scholar. Il vécut jusqu’à la fin sur un vieux fonds de culture assez sommaire et on ne voit pas qu’il ait jamais senti le besoin de rajeunir, de contrôler et d’étendre ses connaissances au contact de l’esprit d’autrui. Philosophie, théologie, littératures étrangères, tout cela était pour lui l’inutile et l’inconnu. La préoccupation morale était toute sa littérature, ce qui revient à dire qu’il n’était pas un lettré. Une œuvre médiocre, si elle prêchait la vertu, le ravissait. Avait-il rencontré