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pensée étrangère, plier ses idées aux besoins d’autrui, voir et montrer les imperceptibles soudures qui relient entre elles des doctrines contraires en apparence. Pour un peu, si vous insistiez, il exorciserait encore une fois ces dangereuses ou vaines bagatelles. Il lui faut à lui l’affirmation à outrance et la généralisation improvisée. La chaleur d’un système lui tient lieu de clarté et de preuve. Cette idée qu’il ne voudrait ni ne pourrait échafauder sur des argumens, il l’a vécue sincèrement avant de se l’énoncer à lui-même, et au moment où elle se fait jour dans son esprit, toute brûlante encore de la vie intérieure qu’elle vient de traverser, il s’en empare et sans la contrôler davantage, il se hâte de l’exprimer par une image énergique ou par un aphorisme convaincu.

Je n’ai pas besoin de montrer que le mysticisme embrouille encore cette psychologie compliquée. Thring était un protestant trop étroit pour n’être pas touché d’une pointe d’illuminisme. Il y a en lui du prophète et de l’inspiré et de là vient cette confiance absolue en ses idées et en ses méthodes, confiance qui n’exclut pas une humilité sincère, puisque, dans sa pensée, idées et méthodes lui arrivent directement de Dieu.

Ces remarques faites, nous aurons moins de peine à nous imaginer ce que devaient être les classes de Thring. Car il ne faut pas oublier que, directeur d’un grand collège, prédicateur ordinaire des élèves, écrivain, poète, cet homme infatigable trouva le moyen d’être, jusqu’à son dernier jour, le plus attentif et le plus régulier des professeurs.

Pour savoir ce qu’il fut comme professeur, il est inutile de se reporter à ses traités de pédagogie. En effet, les meilleures pages de ces livres, quoique assez suggestives, restent vagues et déconcertantes. On en peut juger par la page suivante, une des plus claires pourtant et des plus fécondes. C’est un parallèle entre le bon et le mauvais professeur. Celui-ci est comparé à un enfonceur de clous. L’image n’est peut-être pas très bien choisie et ne rend pas exactement ce qu’il veut dire, mais avec lui il n’y faut jamais regarder de trop près.


Le maître a affaire à des facultés latentes, l’enfonceur de clous a une tâche donnée.

Le maître sait que sa mission est indéfinie et il ne cesse de renouveler ses connaissances. L’autre croit posséder sa matière une fois pour toutes.

Le maître aime sa besogne et trouve chaque jour des raisons nouvelles