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plaisir de faire des économies. « J’amasserais beaucoup d’argent, » disait-elle, et cette pensée la consolait.

On se crut une fois à la veille d’une solution amiable. Le père et la fille s’en étaient remis à l’arbitrage de la grand’mère maternelle de Mademoiselle, la vieille Mme de Guise, qui leur avait fait promettre par écrit de signer « tout ce qu’elle voudrait sans le voir. » Il n’en résulta que la brouille définitive. Mme de Guise était « passionnée de sa maison[1], » cette ambitieuse et intrigante maison de Lorraine où elle s’était remariée[2], et qui se trouvait ici en cause par la seconde femme de Gaston, sœur du duc Henri[3]. Quand Mademoiselle, après avoir « signé sans voir, » prit connaissance de la « transaction » de sa grand’mère, elle constata que celle-ci l’avait dépouillée avec une mauvaise foi criante, pour que ses demi-sœurs, les petites graines de Lorraine, ne fussent plus menacées d’être « à l’hôpital. » L’amour de « la maison » l’avait emporté chez Mme de Guise, comme chez Monsieur, sur les considérations de justice et de parenté.

Cela se passait à Orléans, au mois de mai 4655. Mademoiselle, révoltée, courut chez sa grand’mère : — « Je lui dis qu’il paraissait qu’elle aimait mieux la maison de Lorraine que celle de Bourbon ; qu’elle avait raison de chercher à donner du bien à mes sœurs ; qu’elles en auraient peu du côté de Madame, et que cela faisait voir que j’étais une grande dame d’avoir de quoi me passer des autres, et que la fortune de ma famille s’établît sur ce que l’on pouvait attraper de moi ; mais que j’étais assez au-dessus d’elles pour qu’elles pussent recevoir mes bienfaits ; ainsi, qu’il valait mieux les tenir de ma libéralité que de me les escroquer ; que cela était mieux selon Dieu et selon les hommes. » La scène dura trois heures. Le même jour, Monsieur était averti que Mademoiselle n’acceptait pas « d’être dupe. » Il donna précipitamment l’ordre du départ et défendit de recevoir sa fille. Dans le désordre qui s’ensuivit, Madame faillit ne pas avoir à dîner et parut très interdite. L’entourage s’entremit pour sauver au moins les apparences et l’on se dit adieu, mais ce fut tout : la rupture était consommée.

  1. Saint-Simon, Écrits inédits.
  2. Henriette-Catherine, duchesse de Joyeuse, mariée en premières noces à Henri de Bourbon, duc de Montpensier, dont elle eut Marie de Bourbon, mère de Mademoiselle, s’était remariée en 1611 avec Charles de Lorraine, duc de Guise, dont elle avait eu plusieurs enfans.
  3. Henri de Lorraine régna de 1608 à 1624.