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d’Antraigues, n’avait point de secrets pour lui. A quatre heures, Whitworth, impatienté, se rend au ministère. Talleyrand est à la campagne ; on ignore quand il rentrera. De retour à l’ambassade, Whitworth y reçoit, non décacheté, le pli remis à Durant. Durant demande s’il faut l’envoyer à Talleyrand, à la campagne. Sur quoi, Whitworth écrit à ce ministre, atteint si soudainement de fantaisie bucolique et d’humeur printanière, qu’il se mettra en route le jeudi 12 au matin, si d’ici là « la négociation n’est pas terminée favorablement. »

Le 11, Talleyrand, rendu à la vie citadine, reçoit tour à tour Whitworth qui lui remet l’ultimatum, et Markof qui offre la médiation du tsar. Bonaparte rassemble un conseil privé : les deux Consuls, les ministres de la Guerre, des Affaires étrangères, de la Marine, et Joseph Bonaparte. Il s’emporte contre l’ultimatum. Talleyrand et Joseph parlent pour la paix. Il les invective. Berthier, en bon militaire, et Decrès qui n’ayant point de vaisseaux ni de marins, doit payer de paroles, soutiennent le Consul en criant plus fort que lui. L’ultimatum est repoussé, les passeports sont signés et, après avoir vu Joseph, qui le prie de ne s’en aller ni vite ni loin, Whitworth part, dans la nuit du 12 au 13, pour Chantilly, où il s’arrête.

Bonaparte voudrait se renseigner sur la médiation russe. Le tsar prendrait-il Malte en dépôt ? Mais les événemens le pressent. Il fait rédiger, tandis que Talleyrand s’en explique avec Markof, un memorandum destiné à rejeter tous les torts de la rupture sur l’Angleterre. Il ordonne l’embargo sur les navires anglais dans les ports de la Hollande, de la Toscane, de la Ligurie. Le Moniteur, le 14, annonce le départ de l’ambassadeur d’Angleterre, et une communication extraordinaire au Sénat et au Corps législatif. Puis la convocation est contremandée. Whitworth, qui s’est acheminé doucement jusqu’à Breteuil, y reçoit une note, datée du 13 mai, dernière concession : Malte aux Anglais pour dix ans et, durant ces dix années, occupation d’Otrante et de Tarente par les Français. En même temps, des lettres d’Huber, des avis de Regnaud, ce billet de Joseph : Rien n’est encore désespéré… Quelque résolu que l’on soit à la guerre, on désire toutefois la paix, plus qu’on ne l’espère. » Whitworth envoie le tout à Londres, et continue sa route, sans se hâter.

Mais Bonaparte est au bout de sa patience. Les petites manœuvres des pacifiques lui paraissent désormais oiseuses et