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et désastres, et, dans les succès, qu’un moyen de plus pour le Premier Consul d’arriver au terme de son ambition. » « Ce ne sont, mande Lucchesini, que « récriminations » contre « les trop vastes projets de domination du Consul. » C’est lui seul qui s’est attiré cette redoutable réplique ; on envisage la note de Whitworth « avec plus de regrets que d’animosité. » « Le Gouvernement anglais, écrivait quelques mois après un autre ami de Joseph, est le seul obstacle qui s’oppose encore à l’exécution des projets ambitieux, il faut le renverser[1] ! »

Voilà tout ce monde en mouvement, en intrigues. Huber écrit à Whitworth, le 3 mai, après une tournée chez les partisans de la paix : « Votre Seigneurie sait que, comme caractère, situation et facultés, ils forment une très forte phalange et une très avantageuse association. Joseph Bonaparte, le meilleur de la famille… Regnaud de Saint-Jean d’Angély, son intime ami et confident, sont en fureur contre le Premier Consul… M. Malouet, homme de moralité, de caractère, est un membre essentiel de cette petite phalange. Le sénateur Fouché, homme très différent des précédens au point de vue de la moralité, est notoirement remarquable par ses facultés, son énergie, son indépendance d’esprit ; en cette occasion, il a été un grand et hardi avocat de la paix, et il osa seul combattre l’orgueil aveugle et l’ambition du Consul. Quant à M. de Talleyrand, vous savez, mylord, que son intérêt, comme ministre et comme individu, est si décidément, lié à la paix qu’on peut compter sur son aide, si quelque incident lui donne cette influence que son manque d’énergie lui refuse. »

Lucchesini écrit, dans le même temps et sous la même inspiration : « Talleyrand ne conseilla ni n’approuva la mission du colonel Sébastiani, et moins encore la publication des rapports insultans et indiscrets. » Il s’est opposé, jusqu’à offrir sa démission, au projet de présidence de la république helvétique ; il a tâché de faire supprimer dans l’exposé de la situation le passage provocant sur l’Angleterre. « Il n’y a pas, poursuit Lucchesini, un ministre, pas un conseiller d’Etat et presque point de généraux qui ne soient accablés de la perspective d’une guerre maritime…[2]. Les deux frères du Premier Consul et l’aîné surtout,

  1. Stanislas Girardin à Rœderer, juin 1804.
  2. L’ami d’Antraigues, « ami de l’Angleterre, » écrit le 3 décembre 1803 : « L’Angleterre a ici des gens de talent, employés en chef dans l’armée, qui abhorrent cette guerre de descente et la veulent empêcher pour en faire une sur le continent, où ils puissent piller, saccager, s’enrichir à moins de risques. » « Ceux-là, poursuit l’ami, devinent le plan général d’après ce qu’ils entrevoient et avertissent Angleterre. » Communiqué par M. Pingaud.