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revint à Whitworth et, d’un ton de courtoisie, s’informa de la santé de lady Whitworth. « Elle est restée à la maison pour garder un de ses enfans malade, répondit l’ambassadeur. — Vous avez, repartit Bonaparte, passé ici une mauvaise saison ; je souhaite que vous restiez la bonne. » Mais, s’agitant de nouveau : « Il n’y a pas d’apparence après ce qui vient d’arriver. » Et ne se contenant plus : « Pourquoi des arméniens ? Contre qui des mesures de précaution ? Je n’ai pas un seul vaisseau de ligne dans les ports de France ; mais, si vous voulez armer, j’armerai aussi ; si vous voulez vous battre, je me battrai aussi. Vous pourrez peut-être tuer la France, mais jamais l’intimider. — On ne voudrait, dit Whitworth, ni l’un ni l’autre ; on voudrait vivre en bonne intelligence avec elle. — Il faut donc respecter les traités. Malheur à ceux qui ne respectent pas les traités ! Ils en seront responsables à toute l’Europe. » Sur ces mots, il rompit le cercle qui s’était formé autour de lui, et, « suffoquant de colère, » sortit en criant : « Malte ou la guerre, et malheur à ceux qui violent les traités ! »

Plus de cinquante personnes assistaient à la scène. Les courriers diplomatiques en portèrent des relations à Berlin, à Pétersbourg, à Vienne. Il ne fut bruit d’autre chose dans Paris. Le 15 mars, au Conseil d’Etat, on discutait un projet de loi sur la Banque de France. Un ancien membre, très modéré, du Comité de l’an III, Defermon, exprima la crainte que les circonstances ne nuisissent au succès de la Banque. « Les Romains assiégés envoyèrent une armée en Afrique, dit Bonaparte. Si nous avions la guerre, ce qui ne paraît pas présumable, je voudrais diminuer les impôts de trente millions. Nous vivrions en Europe, en Hanovre. » Le roi d’Angleterre paierait les frais de la guerre. Il rapporta les paroles qu’il avait adressées à Whitworth et ajouta : « La France ne peut reculer là-dessus — Malte — sans reculer sur tout le reste. Ce serait contraire à l’honneur. Il vaudrait mieux périr. Si l’on cédait sur ce point, ils demanderaient Dunkerque. Ces temps-là sont passés, nous ne sommes plus ce que nous étions. Nous ne serons pas les vassaux de l’Angleterre… Les Anglais ont été habitués à mener le continent, et, pour peu qu’ils trouvent actuellement de résistance, ils y sont très sensibles. Tant pis pour eux ! »

Dans le même temps, Markof écrivait à Pétersbourg après une conversation avec l’un « des plus affidés » de Talleyrand,