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ancien et immuable. C’est cependant l’heure fixée pour l’embarquement de Shiva, mais personne n’arrive et rien ne bouge.

Ce lac, creusé de main d’homme, est un carré de 6 ou 800 mètres de côté ; des escaliers en granit le bordent sur ses quatre faces pour permettre aux fidèles de descendre dans ses eaux saintes ; au milieu, une île également carrée, avec une tourelle à chaque angle, supporte une pagode toute blanche, dans un jardin de bananiers. Les rives sont de larges places vides, favorables aux foules, et en ce moment accablées de chaleur et de lumière ; aux environs, des rideaux de verdure, des banians, des palmiers, quelques temples. Et tout cela est très loin du grand sanctuaire de la déesse, presque à la campagne.

Des tam-tam dont le bruit s’approche !… C’est le cortège. Il débouche là-bas d’une avenue ombreuse et s’avance au soleil, dans ce petit désert brûlant où le lac et l’étrange navire sommeillaient. D’abord des géans en carton, de dix ou quinze pieds de haut, qui se dandinent et sautillent sur des épaules humaines ; des éléphans artificiels, portés à des d’homme ; six éléphans vrais, habillés de longues robes rouges, toutes pailletées ; une vingtaine de parasols rouges, immenses, de cette forme asiatique presque sans âge, qui était déjà de mode aux défilés de Babylone ou de Ninive. Et puis les tam-tam, les stridentes musettes. Et enfin les grands palanquins dorés de Shiva et des dieux de sa famille.

La foule ne suit point ; le cortège arrive seul, comme si, en traversant Madura, il n’avait intéressé personne. Avec lenteur, il fait le tour du lac, au soleil dévorant, sans que des curieux viennent de nulle part regarder, et, devant le navire, il s’arrête.

On va, me dit-on, procédera l’embarquement, et dans l’ordre que voici : les deux fils de Shiva, puis Shiva lui-même, et en dernier lieu, Parvâti son épouse. Quelques vieux bateliers, durant de longues années sans doute préposés à ce service, remontent du lac, sortent de l’eau, tout velus, tout ruisselans et s’approchent des palanquins. — Quelle différence avec la mise en char de Vichnou, qui fut si mystérieuse à Chri-Ragam, en pleine nuit, et entourée de tant de voiles ! — Je reste là, très près ; on ne s’en inquiète pas, on ne me prie pas de m’en aller. Les rideaux des palanquins sont ouverts, et peut-être, en cette occasion unique, vais-je apercevoir les idoles, tant vénérées et redoutées depuis des siècles…

Oh ! comment dire la surprise et presque l’horreur qu’elles