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beaux bracelets, leurs boucles de nez et d’oreilles. Les zébus des attelages ont les cornes peinturlurées, dorées ; portent des colliers, des clochettes, des glands de verroteries. Les marchands de guirlandes gênent la circulation avec leurs étalages de fleurs en chapelets : œillets d’Inde, roses du Bengale, soucis, enfilés comme des perles, formant des colliers à plusieurs rangs, aussi gros que des boas, avec des pendeloques également en fleurs, et des entrelacs de fil d’or ; demain, tous les gens qui iront faire leurs dévotions, tous les dieux dans les temples, porteront sur leur poitrine de chair, de pierre ou de métal, ces ornemens jaunes ou roses. Et les ménagères, aujourd’hui levées dès l’aube, se hâtent de tracer devant leur demeure, sur le sol de la chaussée qu’elles ont balayé soigneusement, des rosaces, des figures géométriques, avec cette poudre blanche que l’on tient en mains dans un petit sablier et que l’on répand en traînées fantaisistes, pareilles à des rubans entre-croisés. On n’ose plus marcher dans les rues, tant sont jolis tous ces dessins blancs, avec ces œillets jaunes piqués çà et là en terre, aux nœuds des réseaux de lignes. Mais le vent commence de souffler, amenant des tourmentes de cette poussière si rouge qui, dans l’Inde méridionale, donne une teinte un peu sanglante à toutes choses, et, de ce patient bariolage du sol, dans une heure rien ne restera plus.

Les maisons de la ville, peintes en couleur de brique rose, la fourche de Vichnou inscrite au-dessus de la porte, toutes très basses, avec des murs trapus, des contreforts, des pylônes, font songer à l’Egypte des Pharaons. Et il y a autant de demeures pour les dieux que pour les hommes, à peine plus de maisons que de temples. Et sur tous les temples, parmi les petits monstres rougeâtres couronnant le fronton des murailles, il y a des familles perchées de corbeaux, qui regardent passer le monde, qui guettent les proies, les débris, les pourritures. Et au fond de chacun des petits sanctuaires jamais fermés, apparaît l’idole horrible ; presque toujours c’est Ganesa à tête d’éléphant, avec des colliers de fraîches fleurs jaunes qui retombent sur ses bras multiples et cachent sa trompe pendante.

Des temples et des temples ; de saintes piscines pour les ablutions des brahmes ; des palais, des bazars.

Des mosquées aussi, car l’Islam, — triomphant dans le nord-ouest et le centre de l’Inde, — a quelque peu filtré jusqu’à cette région des grandes palmes. Et combien différentes des temples