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DANS L’INDE DES GRANDES PALMES


I. — LE MERVEILLEUX ROCHER DU TANJORE

Au-dessus des immenses plaines du pays de Tanjore, au-dessus du monde touffu des palmes qui se déploie comme la mer, un rocher se dresse[1], seul et colossal, surveillant depuis le commencement des âges cette région, dont il a vu pousser les forêts, surgir les villes et monter les temples. Il est une étrangeté géologique, une fantaisie des cataclysmes primitifs ; il ressemble au cimier d’un casque, ou à la proue d’un navire de Titans, qui serait à demi submergé là dans un océan de verdure. Il a deux cents mètres de haut ; rien ne prépare à sa présence dans ses alentours plats ; ses parois sont tellement lisses que, même en ce pays où la végétation triomphe de tout, aucune plante n’a pu s’y accrocher.

Et les premiers Indiens, les grands mystiques d’autrefois, en ont fait naturellement un lieu d’adoration : on la patiemment creusé pendant des siècles pour y ménager, dans le roc vif, des galeries, des escaliers, de sombres temples ; au sommet, luisent des coupoles revêtues d’or étincelant, et chaque nuit, sans trêve depuis des millénaires, on allume tout en haut un feu sacré, que l’on voit, des lointains du Tanjore, briller comme un phare.

Ce matin, la ville très indienne bâtie à ses pieds s’agite au lever du soleil plus que de coutume, car c’est demain grande solennité brahmanique ; en l’honneur de Vichnou, on prépare depuis hier d’innombrables guirlandes de fleurs jaunes. Les femmes, les jeunes filles, groupées autour des fontaines pour emplir leurs urnes en cuivre, ont mis déjà leurs parures de fête, leurs plus

  1. Le rocher de Trichinopoly.