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naturelles ; » retrouver dans l’histoire des « produits de l’esprit humain » les conditions éternelles qui gouvernent l’évolution de la nature ; s’acheminer vers l’énonciation de cette loi suprême, du sein de laquelle « on verrait, comme d’une source, » se dérouler, par des canaux distincts et ramifiés, le torrent éternel des événemens et la mer infinie des choses. » C’est ce qui donne à l’histoire de sa propre pensée autant d’intérêt qu’en puisse offrir une biographie d’écrivain ou même d’homme d’action ; c’est ce qui en fait comme un roman d’aventures intellectuelles à la recherche de la vérité ; c’est ce qui communique enfin à son Histoire de la littérature anglaise ou à ses Origines de la France contemporaine, une valeur qu’elles continueront d’avoir, même s’il s’était trompé sur les traits caractéristiques du génie anglo-saxon ou sur le caractère essentiel de la Révolution française ; — et tout cela, Messieurs, c’est ce que je voudrais maintenant vous montrer.


II

Il était parti, vous le savez, du pur positivisme, ou de ce que l’on appelait le positivisme, aux environs de 1855, qui n’était pas d’ailleurs le vrai positivisme, celui d’Auguste Comte, mais le positivisme réduit et mutilé, le positivisme étroit et sectaire que représente le nom du consciencieux, savant, et peu intelligent Littré. La critique de Taine, sa méthode ou son système n’a d’abord été qu’une application de ce positivisme à la caractérisation des œuvres de la littérature et de l’art. Faire abstraction de soi-même en présence de l’objet, d’une toile de Rembrandt ou d’un drame de Shakspeare ; — ne tenir aucun compte, pour commencer, ni même plus tard, de l’émotion qu’ils nous procurent ; — les étudier avec le même désintéressement, la même impartialité du dehors que le zoologiste ou le botaniste étudient le tigre et le mouton, la rose ou la belladone ; — tâcher d’en découvrir le caractère essentiel ou dominateur, celui qui commande les autres, qui les « nécessite » ou qui les « conditionne, » celui qui distingue Shakspeare de Ben Jonson, ou Rembrandt de Rubens ; — montrer la dépendance où il est des caractères généraux et communs qui sont ceux de la Renaissance anglaise au temps d’Elisabeth ou de la peinture hollandaise contemporaine de Tromp et de Ruyler ; — comparer alors ces œuvres entre elles et les « étiqueter, » — il n’y a pas d’autre mot, — les cataloguer, les classer comme font encore les naturalistes pour les espèces de la nature ; — et comme eux enfin, de