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politiques, mais il manquait aux exilés de savoir en démêler les ressorts et en tirer la morale. Ce talent-là, que les Parisiens ont toujours possédé au plus haut degré, n’a jamais passé la banlieue ; on ne l’emporte pas avec soi. Mademoiselle ne l’avait jamais eu, même aux Tuileries. Elle était la première à dire : — « Je ne devine jamais rien. » Une fois dans son trou, elle ne comprit plus absolument rien à l’histoire de son temps

IV

Pour d’autres que des provinciaux, il n’y avait rien de plus clair que la conduite de la cour de France depuis sa rentrée dans la capitale. Mademoiselle s’était sauvée des Tuileries le 21 octobre 1652. Le lendemain, le jeune roi tenait un lit de justice où le Parlement recevait défense de s’occuper des « affaires générales » de l’État, et la monarchie absolue était faite. Les bannissemens et les poursuites commencèrent aussitôt ; mais il en était fort peu question dans les gazettes, où Paris apparaissait uniquement occupé de ses plaisirs. Les ordinaires de novembre apportèrent à Saint-Fargeau des descriptions d’un premier bal de cour et quelques lignes sur un nouveau lit de justice (13 novembre) où le prince de Condé et ses adhérens avaient été déclarés criminels de lèse-majesté. En décembre, on eut l’arrestation de Retz, qui s’était cependant rallié avant la fin de la Fronde, et la relation d’un grand mariage, avec énumération des cadeaux et noms des donateurs, exactement comme dans nos journaux mondains. Janvier fut marqué par plusieurs succès de Turenne sur Condé et ses Espagnols et par la mort de l’ancienne naine de Mademoiselle, qui avait pris sa retraite il y avait sept ou huit ans ; son article nécrologique tient plus de place dans la gazette de Loret que les nouvelles politiques et celles de la guerre mises ensemble. Le 3 du mois suivant, l’ère révolutionnaire fut close par le retour triomphal de Mazarin. Louis XIV alla au-devant de lui l’espace de trois lieues,

Encor qu’il fît un temps étrange,
Temps de vent, de pluie et de fange,

et le ramena dans son carrosse au Louvre, où l’attendaient un somptueux festin, un feu d’artifice, et les hommages, plus ou moins sincères, d’un peuple de courtisans.

TOME XI. — 1902. 2