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Origines de la France contemporaine, ce sont autant de documens et d’illustrations à l’appui de la méthode ; ce sont autant d’épreuves auxquelles il a voulu soumettre la solidité de ses principes critiques ; ce sont autant de démonstrations tendant à établir, je ne veux certes pas dire l’infaillibilité, mais l’objectivité du jugement critique. Son livre même de l’Intelligence n’est pas autre chose, et, si seulement il eût vécu, je ne doute pas que nous ne l’eussions à cet égard retrouvé tout entier dans le livre qu’il rêvait d’écrire sur les Émotions et la Volonté. Là est bien l’intention de son œuvre, et là surtout en est l’unité, dans le parti pris, dans le dessein formé de démontrer qu’il y a un « bon » et un « mauvais goût » ou plus généralement des opinions fausses et des jugemens vrais, des certitudes, et des certitudes absolues, en esthétique et en morale comme en physiologie ; un critérium de cette certitude, une évidence, dont l’autorité, pour être plus laborieusement acquise, et plus éloignée de l’usage commun, n’est cependant pas moindre ni ne s’impose moins nécessairement ; et enfin, Messieurs, je ne veux pas dire une science, mais une connaissance des « produits de l’esprit humain, » qui ne le cède à aucune autre, pour l’universalité de ses principes, la rigueur de ses démonstrations, et l’importance de ses résultats.

Par cette même intention s’expliquent également ou se concilient, pour mieux dire, les contradictions qu’on a relevées dans l’œuvre de Taine. Je ne parle pas, vous m’entendez bien, de ces contradictions de détail auxquelles nous sommes tous exposés, qui n’atteignent pas le fond des choses, et dont rien n’est plus dangereux que de vouloir à tout prix éviter le reproche, parce qu’on ne l’évite en général qu’aux dépens de la vérité. Il y a des faits qui ne se rejoignent pas. J’en connais même que l’on fausse en les rapprochant. Et c’est pourquoi n’essayons pas, Messieurs, de mettre dans la représentation des choses humaines plus de logique et d’unité que n’en comporte leur condition mouvante. Mais, vous le savez, on a cru voir, on a signalé plus d’une fois dans l’œuvre de Taine une contradiction de fond, et c’est celle qu’il y aurait entre le « positivisme » de ses débuts, et ce que nous pouvons bien appeler « l’idéalisme » de ses dernières conclusions. Vous connaissez tous cette belle page des Origines de la France contemporaine :

« Aujourd’hui, après dix-huit siècles, le christianisme est encore, pour 400 000 000 de créatures humaines, l’organe spirituel, la grande paire d’ailes indispensables pour soulever l’homme au-dessus de lui-même… Toujours et partout, depuis dix-huit cents ans, sitôt que ces ailes défaillent ou qu’on les casse, les mœurs publiques et privées se