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L’ŒUVRE CRITIQUE DE TAINE[1]

Vous savez, Messieurs, que les mêmes sujets ne s’offrent pas toujours à nous sous le même aspect, et l’une des raisons en est que, comme les sommets de vos Alpes, ils ne s’éclairent pas toujours de la même lumière. Nous n’avons pas non plus, historiens ou critiques, à tout âge les mêmes yeux ! Lorsqu’il y a de cela douze ou quinze ans, j’ai tâché pour la première fois de caractériser l’Œuvre critique de Taine, je n’avais guère vu en elle qu’elle même. Si j’avais eu plus récemment l’occasion d’y revenir, je n’aurais sans doute pu que commenter, paraphraser, ou résumer ce que l’un de vos maîtres, M. Victor Giraud, — que je m’honore d’avoir eu pour élève, — en a dit dans le solide et brillant Essai qu’il a consacré à l’illustre auteur des Origines de la France contemporaine. Et voici qu’aujourd’hui ce qui m’intéresse et ce qui m’attire en lui, c’est sans doute ce qu’y a vu M. Victor Giraud, et c’est bien aussi ce que j’y avais vu moi-même ; oui, c’en est bien la valeur intrinsèque, philosophique ou littéraire ; et c’en est bien, en France et hors de France, la profonde influence, plus profonde, plus étendue que celle même d’Ernest Renan : mais c’en est surtout la signification « représentative, » et j’oserais dire presque « symbolique. » L’œuvre de Taine, à elle toute seule, « symbolise » ou résume toute une période ou toute une phase de l’histoire de la pensée contemporaine. Je la trouve expressive, en son développement, de quelques

  1. Cette conférence a été prononcée le 18 janvier de la présente année, à Fribourg en Suisse, pour l’Université catholique. Je ne l’avais pas rédigée, et c’est la seule raison pour laquelle je ne l’avais pas publiée. Si la rédaction que j’en donne aujourd’hui tombe sous les yeux bienveillans de quelqu’un de mes auditeurs de Fribourg, il en reconnaîtra, je pense, aisément, les deux premières parties ; mais, si la troisième aboutit aux mêmes conclusions, il lui paraîtra que c’est par un autre chemin. C’est le même dessin, mais je crains que ce ne soient pas les mêmes mots. Je m’en excuse sur l’insuffisance de mes notes, et j’ajoute qu’au surplus, quelque chemin que l’on prenne, si l’on aboutit aux mêmes conclusions, c’est sans doute une preuve, ou du moins une présomption, qu’elles sont conformes à la vérité.