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et qu’il en a le droit parce qu’il en a provisoirement le moyen. On croyait généralement que M. Waldeck-Rousseau avait laissé une succession difficile : M. Combes l’a rendue facile pour lui. Il aura une majorité plus forte au retour de la Chambre qu’il ne l’avait à son départ ; et il sait désormais comment il doit s’y prendre pour la consolider le jour où elle commencerait à faiblir : il lui suffira de sacrifier encore quelques congrégations, il en a gardé pour l’avenir. Dès lors, le parti radical-socialiste ne pourra pas le lâcher, quand bien même il le voudrait. M. Combes est donc assuré d’une longue vie ministérielle, à moins qu’un jour quelque mouche ne le pique, comme cela vient d’arriver au général André, et qu’il ne veuille faire à sa tête : mais cela est bien invraisemblable. Au reste, qu’y gagnerions-nous ?

Il faut courageusement s’habituer à la pensée que l’état où nous sommes n’est pas accidentel, et que, par conséquent, il n’est pas près de son terme. Il est le résultat de fautes accumulées par le parti modéré, fautes que nous avons relevées au fur et à mesure qu’elles se produisaient, sans d’ailleurs réussir à nous faire entendre. Le tort principal de ce parti a été d’avoir voulu ménager ses chances parlementaires de revenir aux affaires, alors qu’il ne pouvait y réussir que par une opposition parfaitement nette et résolue. C’est encore et plus que jamais le seul chemin qui puisse l’y ramener, non pas dans la Chambre actuelle, mais après des élections nouvelles, si l’opinion, mieux renseignée qu’elle ne l’a été jusqu’ici, et surtout éclairée par l’expérience, se réveille enfin de sa torpeur. Car la torpeur et l’indifférence de l’opinion ont fait l’audace et la force des jacobins aujourd’hui nos maîtres. Ceux-ci n’ont pas plus la majorité sincère dans la Chambre que dans le pays lui-même ; mais ils terrorisent la Chambre en lui faisant croire qu’ils disposent souverainement de l’influence électorale, et que nul ne peut être élu ou réélu qu’après avoir fait vis-à-vis d’eux acte de soumission. Là est le mal véritable. Les derniers succès qu’il a eus aux élections, bien qu’ils aient été plus apparens que réels, ont augmenté démesurément la confiance que le radicalisme jacobin est toujours disposé à avoir en lui-même, et la timidité de certains modérés, qui cherchent avec lui un terrain de conciliation et de transaction, au lieu de l’attaquer franchement et hardiment. Persévérer dans cette politique de défaillances après en avoir constaté les déplorables résultats serait plus qu’une faute, et cette faute, ajoutée à tant d’autres, serait la condamnation définitive du parti modéré. Lorsque le ministère s’est formé, l’ignorance même où l’on se trouvait de ce qu’était au juste M. Combes, les souvenirs qu’il avait