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quand elle est commise sous le couvert de la légalité, au nom de quelque intérêt de clan ou d’état, — et ses héros en poursuivent la réparation. Ses brigands même ont souvent des scrupules de conscience, et le dernier mot, en général, appartient à l’honnête homme ou au défenseur de la bonne cause. Qu’on se souvienne, par exemple, du triomphe du loyal Anne de Saint-Ives sur son cousin rival, l’espion Alain de Keroual.

Le second trait de son caractère que nous avions déjà indiqué, c’est le peu de place qu’il donne à l’amour dans ses romans. À défaut d’amour, les ressorts qu’il fait jouer sont les incidens imprévus, le mystère qui plane sur certains trésors cachés ou sur l’auteur des explosions de dynamite et les phénomènes de l’âme extraordinaires produits par certains agens chimiques ou par des médicamens, comme dans le docteur Jekyll ou l’Île aux voix.

Si, par ses récits d’aventures, Stevenson rappelle beaucoup Jules Verne ou Fenimore Cooper, par ses études psychologiques il se rattache à George Eliot et à Edgar Poë. Il étudie les états d’âme de ses personnages, comme George Eliot, ou Mrs Humphry Ward, seulement, au lieu d’enchevêtrer dans le roman des remarques philosophiques ou des dissertations morales, il préfère dédoubler ses personnages afin d’incarner en eux le bien et le mal. Et ceci est le troisième caractère de son talent, l’emploi des procédés scientifiques pour provoquer l’étonnement, la surprise. Il y a en lui quelque chose du magicien, qui fait des tours de physique amusante ou terrible.

Enfin, par sa connaissance approfondie de certaines époques de l’histoire d’Angleterre et d’Écosse, Stevenson a remis en honneur le roman historique, son David Balfour, son Master de Ballantrae et surtout Alan Breck et Weir de Hermiston sont dignes de prendre place auprès des personnages les plus en relief des œuvres de Walter Scott

Et ce n’est pas seulement par l’originalité et la couleur locale de ses héros, c’est encore par son style que R. L. Stevenson mérite d’être comparé au prince des romanciers historiques du XIXe siècle. Un Français n’étant peut-être pas très bon juge pour apprécier son style, nous emprunterons le jugement d’un critique américain : « Le style de Stevenson, a écrit le professeur W. Cross, est admirable comme la structure de ses contes. Sa syntaxe est d’une simplicité étudiée. Ses phrases sont formées de