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chefs furent arrêtés et jetés en prison. Stevenson alla les visiter, les consola, leur obtint quelques faveurs et secourut leurs familles. Cela mit le comble à la popularité de « Tusitala. » Aussi, après la conclusion de la paix, dès qu’ils furent délivrés, ces chefs indigènes, avant de rentrer dans leurs foyers, se rendirent à Vailima et offrirent à leur ami, en témoignage de gratitude, de construire une route, qui mettrait sa demeure en communication avec l’intérieur. Stevenson ayant accepté, ces hommes, dont quelques-uns étaient vieux et d’autres malades de leur réclusion, se mirent à l’œuvre et, en octobre, la route était prête. Le jour de l’inauguration fut un vrai triomphe pour notre colon. Le nouveau roi et le grand juge, ou Tsaïtsifons, étaient présens ; les donateurs ayant baptisé leur œuvre du nom de Ala-loto-alofa (route du Cœur aimant), Stevenson, après avoir salué les autorités et mis en relief le caractère pacifique de ce travail, se tourna vers les chefs déchus et leur dit : « Je tiens à vous dire, ô chefs, qu’en vous regardant travailler à cette route, mon cœur brûlait, non pas de reconnaissance, mais d’espoir. Il me semblait qu’il y avait là quelque chose de bon augure pour Samoa. Vous m’apparaissiez comme une troupe de guerriers, combattant pour la défense de notre commune patrie. Car il y a un temps pour combattre, et un temps pour creuser. Vous autres, hommes de Samoa, vous auriez beau vous battre, vous auriez beau vaincre vingt, trente fois, tout cela serait en vain ! Il n’y a qu’un moyen de défendre Samoa. Écoutez- moi, avant qu’il soit trop tard. C’est de faire des routes, des jardins, de soigner vos arbres et d’en vendre le produit sagement.

« En un mot, c’est d’occuper et d’exploiter votre pays. Si vous ne le faites pas, d’autres le feront à votre place. J’espère que l’exemple donné par vous sera suivi par les chefs des autres îles. Je ne parle pas à la légère ; ce que j’ai dit, c’est par amour pour Samoa et pour son peuple. J’aime ce pays, je l’ai choisi pour être ma demeure durant ma vie et mon tombeau après ma mort. J’aime ce peuple et je vous ai choisis pour être mon peuple, pour vivre et mourir chez vous. L’instant est décisif, c’est peut-être la dernière occasion qui s’offre à vous pour décider si vous disparaîtrez, comme ces autres races dont je vous ai parlé, ou si vous résisterez, si vous aurez des enfans pour honorer votre mémoire dans le pays que vous avez reçu de vos pères. »